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LE FLEUVE DE FEU G^T,

rêverie chez cette belle fille ; parfois seulement son regard fixait Daniel qui lui disait de ne pas « prendre des yeux de vache ». Un jour de 15 août, revenant des vêpres dans sa robe ridicule, elle lui dit : « Ce matin, j'ai communié pour vous. » Il pouffa ; elle le regardait, les sourcils rappro- chés. Il inspectait ce corps empaqueté de baleines et de mousseline, ce corps transpirant, et dit enfin, l'œil trouble : « Tu as eu chaud, Marie. » Elle sourit niaisement, rejoi- gnit, en courant, sa mère. Dès lors, et sans qu'il y ait eu entre eux d'autres paroles, elle l'évita. Il chercha ailleurs son plaisir, mais sut que Marie faisait réciter leur caté- chisme aux drôles de Bourideys, coiffait les mariées et les communiantes après avoir tué leurs poux, veillait les morts. Il oublia Marie Ransinangue et n'en ouït plus parler jusqu'à ce soir de sa première permission, pendant la guerre, où l'oncle Louprat l'entretint rageusement de la folie mystique dont tout le bourg, depuis la mobilisation, était, disait-il, possédé. Un petit berger entendait des voix. Une métayère avait des visions, prétendait savoir que tel disparu était vivant.

— Quant à Marie Ransinangue, crois-tu que pour prouver son dévouement à notre famille, la garce a fait vœu d'entrer en religion, si tu reviens sain et sauf?

Daniel avait souri, haussé les épaules. Pourtant, lors des obsèques de M. Louprat de la Sesque (obsèques solen- nelles, selon ce que le bonhomme avait toujours promis au curé : « Vous ne m'aurez pas vivant, mais vous m'aurez mort. ») Daniel avait, au défilé de l'offrande, senti sur lui les yeux insistants de Marie. Elle le fixa sans ver- gogne, sachant qu'elle ne le reverrait plus, soit qu'il fût tué ou que, s'il revenait, elle s'ensevelît vivante. Ainsi la jeune fille disparut aux derniers jours de 19 18. On sut qu'elle était entrée au Carmel de Toulouse. Quand Daniel, démobilisé, vint à Bourideys lors du règlement des gemmes, il connut à la rancune muette des Ransinangue qu'il était tenu pour responsable de leur malheur. Mais,

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