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692 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Les gardiens Ransinangue et leur fille Marie ouvraient au soleil d'août la maison abandonnée sans qu'elle perdît son odeur de moisi. Quatre rangs de chênes énormes et bas mêlaient leurs branches ; puis s'étendait un grand champ de pauvre millade. Cet espace de terre et de ciel, ourlé de pins sombres, était le cirque où Daniel adolescent et la petite Marie Ransinangue prêtaient aux nuages des formes d'animaux, de chars et de dieux.

Cette Marie Ransinangue avait passé avant l'âge son certificat d'études. La sœur Lodoïs, directrice à l'école libre, disait qu'elle était un sujet remarquable. L'enfant faisait chaque jour seize kilomètres pour apprendre. « C'est une tête, disait la sœur, tout y entre. » Elle vantait à l'enfant l'enchantement du noviciat. A quinze ans, devant cette fille, dont le sarrau se gonflait durement, Daniel Trasis avait été pénétré de ces délices douloureuses qui, après tant d'années où il avait connu Paris, la guerre, toutes les débauches, ce soir l'inondaient encore au seul nom d'une jeune fille inconnue : Mademoiselle de Plailly.

La route était libre. Les gaves ruisselaient. Les pas de Daniel interrompirent un rossignol : « Marie Ransi- nangue, dit-il, Marie Ransinangue... » Elle lui avait tant plu par sa candeur que, bien qu'il ne fût déjà plus pur dès cette époque, il s'était défendu de la corrompre. Elle était pieuse, certes, mais rieuse et rien ne manifestait qu'elle fût touchée par les invites de sœur Lodoïs. A treize ans, elle aimait poursuivre Daniel dans la maison vide, se déguiser avec la friperie du grenier, lire à haute voix sur le talus, au bord du champ, des romans de Maryan, de Raoul de Navery, de Zénaïde Fleuriot, où sœur Lodoïs s'était initiée à la connaissance du monde et des passions et dont elle jugeait que sa protégée pouvait, sans risques graves, se divertir. Jamais avec Daniel que le verbiage ordinaire de deux enfants interrompu par la femme Ransinangue pour que Marie s'occupe des poules et du cochon. Aucune

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