Page:NRF 19.djvu/661

Cette page n’a pas encore été corrigée

ALAIN-FOURNIER 659

active, celle où son talent se nourrit, se forma. Tout le poids dont l'accablait la « préparation de l'Ecole », pour laquelle il n'était absolument pas doué, et qui était pour lui un véritable cauchemar, ne l'empêcha pas de lire, ni de pomper autour de lui tous les sucs dont il avait besoin.

Il s'assimila Claudel, Gide, Rimbaud, Ibsen, acheva de digérer Laforgue et Jammes. En Angleterre, il s'était épris des Préraphaélites. La peinture l'intéressait, mais par les côtés, il faut bien le dire, où elle touchait à la littérature. A Paris, il se mit à visiter les salons : Maurice Denis et Laprade lui donnèrent de grandes émotions. Il armait découvrir dans leurs toiles les paysages purs et désespérés qu'habitait naturellement son âme, qu'il voulait à son tour évoquer.

En toutes ses admirations de cette époque, d'ailleurs, et même de toujours, on sent un fort coefficient subjectif : il se cherche au travers de ce qui l'enthousiasme ; il poursuit surtout des exemples, des permissions.

Un moment il plie et s'effondre presque sous Claudel ; mais on le voit d'une lettre à l'autre se démener sous l'énorme avalanche, se rassembler, se saisir : « Claudel, s'écrie-t-il, apprends-moi à penser et à écrire selon moi, à moi qui sens selon moi 'm. Et dans la lettre suivante, il note la leçon et l'encouragement qu'il croit avoir reçu du poète de Tête d'Or : « Il m'a renforcé... dans cette convic- tion que j'ai toujours eue... que je ne serai pas moi tant que j'aurai dans la tête une phrase de livre, — ou, plus exactement, que tout cela, littérature classique ou moderne, n'a rien à voir avec ce que je suis et que j'ai été. Tout effort pour plier ma pensée à cela est vicieux. Peut-être faudra-t-il longtemps et de rudes efforts pour que, profon- dément, sous les voiles littéraires ou philosophiques que je lui ai mis, je retrouve ma pensée à moi, et pour qu'alors à

1. Lettre du 7 mars 1906.

�� �