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ALAIN-FOURNIER

��Comment rattraper sur la route terrible où elle nous a fuis, au delà du spécieux tournant de la mort, cette âme qui ne fut jamais tout entière avec nous, qui nous a passé entre les mains comme une ombre rêveuse et téméraire ?

« Je ne suis peut-être pas tout à fait un être réel. » Cette confidence de Benjamin Constant, le jour où il la découvrit, Alain-Fournier fut profondément bouleversé ; tout de suite il s'appliqua la phrase à lui-même et il nous recommanda solennellement, je me rappelle, de ne jamais l'oublier, quand nous aurions, en son absence, à nous expliquer quelque chose de lui.

Je vois bien ce qui était dans sa pensée : « Il manque quelque chose à tout ce que je fais, pour être sérieux, évident, indiscutable. Mais aussi le plan sur lequel je circule n'est pas tout à fait le même que le vôtre ; il me permet peut-être de passer là où vous voyez un abîme : il n'y a peut-être pas pour moi la même discontinuité que pour vous entre ce monde et l'autre. »

Ses plus grands enthousiasmes littéraires allèrent tou- jours aux œuvres qui lui faisaient sentir l'idéalité de l'uni- vers et de la vie elle-même.

Il faut savoir aussi combien il était sobre : matériellement d'abord (jamais il ne sembla prendre à la nourriture le moindre plaisir, il ne lui demandait que de l'entretenir en vie); mais surtout au spirituel : j'ai souvent admiré com- bien légèrement il goûtait à la réalité et c'était une surprise pour moi, à chaque fois, de voir de quelle impondérable

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