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632 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

par former une définition point si mauvaise de la création poétique, telle que l'entendent les modernes. Une attitude nouvelle est décrite avec tout le relief et toute l'imprécision nécessaires : Jacob aux aguets de l'invisible et lui sautant dessus sitôt qu'il se trame dans l'air, et ce débat, et cette lutte avec on ne sait qui sinon qu'il est quelqu'un qu'il faut saisir et qui se défend, c'est bien le symbole de la poésie telle que l'ont conçue Rimbaud, Mallarmé, et même Baudelaire déjà.

Et si le poète est l'ange en même temps qu'il est son agres- seur (souvenons-nous que dans tout symbolisme le principe d'identité cesse, d'après Freud, de jouer strictement), cela n'est pas, à certains égards, sans exactitude et sert assez bien à figurer l'espèce de constant problème où est le poète moderne de savoir s'il est seul, d'où lui vient cette matière qu'il tâche d'informer et si ce n'est pas seulement à se construire une personnalité seconde, comme un double incompréhensible et vivant, qu'il travaille à tâtons. La relativité de tout effort créateur, la subjectivité foncière de l'opération poétique, sont indiquées, de la seule façon dont on puisse le faire encore, dans ce mythe gracieusement ambigu.

Oui, Cocteau nous aide ici à comprendre en quoi « nos poètes », ceux qui ont refondu notre sensibilité et lui ont donné ses nouvelles manies, se distinguent des grands poètes historiens : Homère, Dante, et Ronsard même, et Chénier, et Hugo. Il faut lui en savoir gré.

Il faut aimer aussi la façon, un peu trop suivie et appuyée peut-être, mais subtile et profonde, dont il analyse les rap- ports de la poésie avec la mort :

La poésie dans son état brut fait vivre celui qui la ressent avec une nausée. Cette nausée morale vient de la mort. La mort est l'envers de la vie. Cela est cause que nous ne pouvons l'envisager, mais le sentiment qu'elle forme la trame de notre tissu nous obsède toujours. Il nous arrrive de sentir nos morts contre nous et, cependant, d'une sorte qui empêche toute correspondance. Imaginez un texte dont nous ne pourrions savoir la suite, parce qu'il est imprimé à l'envers d'une page que nous ne pouvons lire qu'à l'endroit. Or l'envers et l'endroit, utiles pour s'exprimer à la mode humaine, n'ayant sans doute aucun sens dans le surhumain, ce verso, vague, creuse autour de nos actes, de nos paroles, de nos moindres gestes un vide qui tourne l'âme comme certains parapets tournent le cœur.

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