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6l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jusqu'à l'amour. Il lui montre le néant de la gloire. Il a conquis le monde, détruit des villes, anéanti des peuples, semé partout le désert et la mort. Que lui en reste-t-il ? Tandis que deux êtres qui se sont aimés ont tenu l'univers entre leurs bras. Judith reste insensible, du moins incertaine. Il se rend compte que l'idée de la gloire est la plus forte en elle et que seul cet amour l'occupe. Or, quoi peut lui procurer cette gloire ? Sa mort à lui, Holopherne, tué par elle, Judith ? Cette action remplira la mémoire des hommes au plus lointain des siècles. Puisqu'elle ne peut l'aimer, il est prêt à lui donner cette preuve d'amour. Il s'étend sur son lit, place son cimeterre dans la main de Judith, lui indique, sur son cou, la place où l'enfoncer, et déjà lui dit adieu. On voit Judith bien près de profiter de l'occasion, bien tentée. Le cœur et l'esprit combattent en elle. Mais une fois encore l'aspiration à l'amour l'emporte. Elle laisse le cimeterre. Elle se jette sur Holopherne, l'étreint et se donne à lui, dans les cris les plus passionnés.

Au tableau suivant, Holopherne, étendu sur le lit, dort pro- fondément. Judith, debout à quelques pas, songe. Les étreintes qu'elle vient de subir, le don qu'elle a fait de son corps à cet homme, ne lui ont laissé que déception et tristesse. C'est donc cela ces voluptés tant célébrées, ces élans qui font battre les cœurs, ce bonheur pour lequel les êtres s'exaltent ou se déses- pèrent ? C'est donc cela l'amour ? Elle n'en garde que déception et tristesse. « Je déteste l'amour ! » répète-t-elle, presque sur- prise de la découverte. On sent qu'elle se représente jusqu'au phénomène physique et qu'elle n'en éprouve que dégoût, comme une créature fermée à la réciproque. Elle revient près du lit d'Holopherne et regarde l'homme auquel elle s'est donnée. Il rêve à voix haute. Elle écoute. En songe, il prononce ce mot : l'ennemi... Judith se trouve soudain ramenée au mobile qui l'a fait quitter Béthulie. L'esprit, — et l'ambition ! — reprennent le dessus. Dans une résolution presque farouche, heureuse, comme se raccrochant à une action qui, celle-là, au moins, ne la décevra pas, et pourtant froidement, elle saisit le cimeterre resté au côté d'Holopherne et le tue. Sa servante, qui survient, coupe la tête du cadavre et toutes deux s'enfuient vers Béthulie.

C'est à Béthulie que nous retrouvons Judith. La mort d'Holo- pherne a mis la débandade et la déroute dans son armée. Béthu-

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