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CHRONIQUE DRAMATIQUE 615

ment accessible, dans les Alpes. C'est une émulation chez les paysans de l'endroit, d'atteindre à son sommet, et c'est aussi une superstition bien établie chez eux que nul n'y parvient sans y trouver la mort, dévoré par certains esprits qui habitent les ravins d'alentour. On se rappelle l'admirable Solness, élevant sa tour toujours plus haut, et précipité dans le vide au moment même d'atteindre à la lumière et à la vérité. C'est d'une autre envergure et d'une autre pensée. M. Henri Lenormand doit avoir beaucoup lu Ibsen. Il croit sans doute le rappeler. Il s'illu- sionne. On ne rappelle pas un écrivain comme Ibsen. Cette affaire de montagne et de superstition se complique d'une histoire d'amour. Un homme du pays est parti faire fortune au Mexique. Il revient avec sa fille. Celle-ci s'éprend, malgré la volonté de son père, d'un jeune montagnard et devient sa maîtresse. Elle obtient de lui qu'il renonce à l'ambition d'at- teindre au sommetde la Dent rouge. Elle doit pourtant lui rendre bientôt sa parole, le jeune homme dépérissant de regret. Il part sur-le-champ pour son escalade, parvient à la cime, et, comme le veut la légende, choit aussitôt dans le vide. Tout le village s'ameute contre la jeune fille, voyant en elle une sorcière com- plice des esprits de la montagne, et ces brutes la tueraient si le curé du lieu ne prenait sa défense. La jeune fille fait alors son examen de conscience. Elle pense que les paysans ont peut-être raison et qu'elle a peut-être en elle quelque sorcellerie. N'est-ce pas par sa permission que son amant est parti et qu'il a trouvé la mort ? Elle avait le pressentiment de cette mort et pourtant elle ne l'a pas retenu ? Le curé trouve qu'elle exagère. Elle lui dit alors : « Et vous, Monsieur le Curé, vous croyez bien à des choses aussi mystérieuses ? » Il est bien obligé d'en convenir. Vous voyez si tout cela est passionnant ? Quatre actes, six ta- bleaux, des phrases, des cris, du bruit, trois heures de bavar- dage et d'ennui, une pareille niaiserie avec les pires trucs et ficelles dramatiques, pour arriver à dix mots qui signifient un peu quelque chose, et par-dessus le marché la prétention à l'art et à la pensée ? M. Henri Lenormand est décidément un grand auteur et l'Odéon sera brillant sous M. Gémier si c'est là, avec le Molière que nous avons eu récemment, le genre de chefs-d'œu- vre qu'il doit nous révéler.

Je ne suis pas revenu enchanté complètement de la nouvelle

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