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6 10 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

proclame. Elle se trouve alors réduite, lui jouant si bien le rôle de la femme, à jouer, elle, le rôle de l'homme. Elle arrive aux propos équivoques, aux allusions libertines, aux gestes inviteurs. Elle garde l'espoir qu'il va bien finir par l'entraîner dans la chambre à coucher. Il se tient au contraire très loin de l'entrée de cette pièce, comme quelqu'un qui n'est pas pressé, qui n'y pense même pas, qui rougirait même d'y penser. Si bien que les rôles se renversent complètement. C'est elle qui, le prenant par la main, l'entraîne presque de force vers le lit, comme font habituellement les hommes avec les femmes, et c'est lui qui, minaudant, résistant, fait des manières, joue la vertu et a des airs de pudeur effarouchée, comme en font et comme en ont les femmes en pareil cas.

Après l'amour, il s'agit de rompre, de laisser en plan la par- tenaire, de la faire souffrir, de faire d'elle, selon l'enseignement du père, une nouvelle victime expiatoire. C'est la matière du dernier acte. Le père demande à son fils s'il est sûr de lui. Le jeune homme est plein d'assurance. C'est l'affaire d'un quart d'heure. Son père sera content de lui. Le père s'en va, étant entendu qu'il téléphonera dans un quart d'heure pour savoir le résultat. La femme arrive, le jeune homme joue l'homme froid, préoccupé, indifférent. Elle s'étonne, s'inquiète et questionne. Il déclare tout net qu'il ne l'aime plus et qu'il veut rompre. C'est alors à la femme, dont la finesse naturelle et l'intuition d'amante se sont éveillées, de jouer sa partie et de défendre son amour. Tour à tour ardente, suppliante, dédaigneuse, mo- queuse, dure, tendre, elle arrive à ébranler le jeune homme, à le faire faiblir dans son jeu, presque à le confesser. Le père téléphone pour savoir de son fils si la rupture est chose faite. Le jeune homme ne peut que lui répondre d'une voix mal assurée : non, pas encore, tout à l'heure. La scène se poursuit. La femme se fait de plus en plus éloquente. Le jeune homme perd de plus en plus de terrain, abandonne de plus en plus son jeu, ou ne le joue plus qu'à demi. Le plaisir a créé le lien. Les souvenirs, les rappels du plaisir agissent. Il n'a pas non plus vingt ans pour rien. Sa tendresse et son besoin de tendresse sont plus forts que la dureté et la sécheresse qu'il affecte. Autant il faiblit, autant la femme gagne. Il est là, enfoncé dans un fau- teuil, cachant son visage dans ses mains, ne se défendant plus

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