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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 603

d'Eliot, de Tolstoï et de Dostoïewsky se détachent, ou plutôt s'attachent, pareillement.

Mais il y a un genre où l'épisode est seul, vit pour lui-même, et où par conséquent la composition est tout : c'est la nouvelle. Qui le dit, et fort bien ? M. Bourget lui-même. La matière de la nouvelle, écrit-il, « est un épisode, celle d»-.»oman une suite d'épisodes. Cet épisode, que la nouvelle se propose de peindre, elle le détache, elle l'isole. Ces épisodes dont la suite fait l'objet du roman, il les agglutine, il les relie. Il procède par développement, la nouvelle par concentration. Les épisodes du roman peuvent être tout menus, insignifiants presque. C'est le cas dans Madame Bovary et dans l'Education Sentimentale. L'épi- sode traité par la nouvelle doit être intensément significatif. »

C'est juste. Mais pourquoi, sous cette étiquette de « compo- sition », empruntée à la rhétorique classique, M. Bourget réunit-il les deux opérations contraires, celle de la nouvelle qui concentre, celle du roman qui étend et disperse. Le roman, dit-il, « agglutine et relie » des épisodes. Soit. Mais le roman- cier ne compose pas un roman comme il compose ses épisodes, tout au moins un romancier purement romancier, non orateur ni dramaturge. Un romancier, ayant conçu l'embryon de ses personnages, vit avec ces personnages, se laisse conduire par leurs exigences de vie, se garde de vivre leur durée avant qu'eux-mêmes l'aient vécue. Les critiques à principes condam- nent la fin de Julien Sorel qui tue par vengeance alors que son « caractère » est l'ambition, celle d'Emma Bovary qui se tue pour des affaires d'argent alors que son « caractère » la classe dans les affaires d'amour ; ils reprochent tout simplement ici à Stendhal et là à Flaubert, d'avoir laissé la vie se former, déposer et s'achever comme elle fait dans la réalité et dans un tact de romancier qui crée, au lieu de l'avoir fait conclure comme conclut l'esprit d'un discours qui prouve. L'expérience nous montre qu'un certain idéal de « composition » clas- sique, portant sur les caractères et sur l'œuvre, doit être considéré comme un danger et un ennemi du roman : lisez un roman écrit par un scholar comme YEtienne Mayran de Taine ! Composer, dit M. Bourget, est « le conseil qu'une critique bienfaisante donnerait à ces jeunes écrivains » trop purement impressionnistes. Je crois qu'il faudrait mettre

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