Page:NRF 19.djvu/593

Cette page n’a pas encore été corrigée

FINALE DE SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN 591

cité, j'en débarrasse tout à l'heure mon portefeuille. Dé- sormais je paierai double pour voir les Cranach et les Durer, triple pour me chauffer à Munich, et quadruple pour acheter les œuvres de Schiller... J'ai perdu l'Allemagne... Le Rhin, le Danube, l'Elbe et l'Oder, tous ces fleuves que j'ai appris si récemment dans l'ordre comme un en- fant, je les ai perdus. Il y en a que je n'aurai même pas eu le temps de voir pendant qu'ils étaient mes fleuves nourriciers. Soixante millions d'êtres et leurs ancêtres se sont envolés de moi l'autre jour, et m'ont laissé seul, comme le renard glissé dans l'assemblée des oiseaux qui apparaît dès que les oiseaux s'élèvent. Le gros aigle de l'Empire s'est envolé. Me voici abandonné aussi par l'oi- seau Wagner, l'oiseau Nietzsche, l'oiseau Gœthe. Zelten me retire un second passé dont le souvenir peut m'être aussi cruel que le néant de l'autre. Je sens d'ailleurs qu'il a dit vrai. Je sens que j'ai été un élément étranger en Allemagne ; je me rends compte aujourd'hui seulement des malaises, des douleurs provoqués par elle en moi, et qui m'indiqueront peut-être mon vrai peuple : cette peine que j'avais toujours à rouler le verbe à la lin, cette manie de ne pas croire les journaux, ce besoin d'avoir les cheveux non rasés, d'exiger une preuve à toute affirmation, et un statut précis aux relations des états avec l'Empire et du cœur avec les sens. Vous rappelez-vous comme je repro- chais à votre dynastie de n'avoir pas réglé depuis 1113 la question des biens du clergé avec la Saxe ? Vous auriez dû deviner ce jour-là que j'étais né hors de l'Allemagne. Je me rends compte mieux encore depuis l'autre jour du délire sacré de votre patrie, que j'ai dansé chorégraphi- quement, de sa résonnance terrible, dont j'ai usé pour lire de petits discours composés, de son déterminisme épou- vantable, que j'avais cru quelque phénomène politique et passager comme la course à la mer ou au Rhin, en somme de tout ce que je croyais une conséquence de la guerre, alors que les causes seules en apparaissent encore en Alie-

�� �