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580 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Les fonctionnaires des provinces cédées, qui logent dans des trains, ont obtenu des wagons de seconde. C'est la seule information de bonheur. La récolte est mauvaise. Une maladie appelée charnin sévit près du Balaton.

— Et de Russie ?

— On a découvert à la fonte des neiges quinze mille cadavres dans un coude de collines, là où les prospecteurs espéraient trouver du pétrole. Deux Américains de la Croix-Rouge rapportent les photographies de petits enfants qui ont mangé leur père.

— Et des pays baltes ?

Il semblait ne pouvoir se résoudre à questionner le lec- teur sur l'Angleterre, l'Amérique, la France. J'y pressentais une appréhension, c'est-à-dire une préférence, et je n'en étais pas fâché ; le journal ne donnait ce matin sur la France qu'un renseignement ridicule : deux éléphants d'un cirque en voyage avaient évité une collision en gare de Tulle, car on les avait attelés, en l'absence de machines, à une rame mal placée... Je me décidai à avancer, résolu à parler aujourd'hui même et à guérir le seul être qui souf- frît dans ce bourg dédié officiellement à la souffrance . Du moins je le croyais... Mais il se précipita vers moi avec l'élan de celui qui donne une nouvelle et non de celui qui la reçoit :

— Mon pauvre ami, me dit-il, Geneviève se meurt ! Il a fallu l'opérer ce matin, on désespère... Eva est près d'elle... Venez.

��*

  • *

��Geneviève ne mourait pas commodément. Elle avait un lit un peu court pour elle et ses regards aussi étaient gênés par la montagne, qui tombait devant elle à pic. Elle pré- férait attendre la mort les genoux plies et les yeux fermés. Jamais humiliée, mais toujours repentante d'être fille natu- relle, pleine d'admiration pour ce qui est l'ordre ou la loi, elle essayait seulement de donner à sa vie une conclusion

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