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5^8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Post-Scriptum : Tes baisers sont tout simplement extra- ordinaires...

��Les trois lettres étaient donc sauvées. Elles allaient même l'être au-delà de ce qu'eût désiré Lili, car la Kramer continuait à les recopier à dizaines d'exemplaires. Au milieu des prisons-cafés, les lettres de Heine se reprodui- saient avec la vitesse d'éphémères ou comme les pains de Kanah, et à mesure se les passaient les prisonniers, telle- ment émus par ce grand amour, que l'un d'eux intima à Hofmann Tordre de ne plus me séparer de mon amante et de ma vie. Le garde aussi plaida notre cause, la gagna, et malgré les protestations de Lieviné Lieven, il me con- duisit dans une salle vide, hier encore cabinet particulier, revint avec Lili et nous enferma :

— Embrassez-vous tout votre saoul, dit-il, demain vous pouvez être morts. Si vous avez peur de la mort, pro- fitez-en...

Lili, à ce qu'il me sembla, en avait encore plus peur que moi.

Il était tard dans la nuit et nous dormions quand Lieviné Lieven força la serrure et vint nous rejoindre... Je le voyais pour la première fois de près ; il était si mal tenu que quand il parlait tous les boutons de son veston et de son gilet remuaient, et, quand il éternua, deux tombèrent. A cause de sa peur, qui l'avait poussé à nous rejoindre, il se croyait autorisé à quelques privautés que j'avais mieux sup- portées de Lili. Il tenta de m'embrasser sur le front, et s'em- para de ma main libre, où il essayait de lire. Un corrosif ayant rendu dans son enfance ses paumes indéchiffrables, il ne pouvait en tirer d'indication personnelle sur sa vie, et se bornait à l'amalgamer à celle d'un être que les lignes pro- clamaient heureux. Mes lignes étaient bonnes. Il tâcha donc de devenir mon ami le plus cher, car je n'avais pas une main à perdre un vrai ami ; et, comme tous les peu- reux avec ceux qui ont moins peur, il essayait de me don-

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