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514 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

résumée, dans son corps. En la tenant sous mon regard, dans mes mains, j'avais cette impression de la posséder tout entière que je n'avais pas quand elle était réveillée. Sa vie m'était soumise, exhalait vers moi son léger souffle. J'écou- tais cette murmurante émanation mystérieuse, douce comme un zéphyr marin, féerique comme ce clair de lune qu'était son sommeil. C'est peut-être même le dépouille- ment de l'être humain qu'on est qui, dans le sommeil, supprime la parole, ne laisse passer qu'un bruit léger. A ces moments-là Gisèle me semblait redevenue innocente. Et pourtant quelles songeries, quels noms propres peut- être ne flottaient-ils pas sans que je les pusse saisir, dans cette pure haleine ?

Quelquefois, s'il faisait trop chaud, je voyais qu'avant de s'étendre, elle avait, dormant déjà presque, jeté son kimono sur un fauteuil. Et maintenant qu'elle dormait, je me disais que toutes ses lettres étaient dans la poche intérieure de ce kimono où elle les mettait toujours. Une signature, un rendez-vous donné eussent suffi pour prouver un mensonge ou dissiper un soupçon. Quand je sentais le sommeil de Gisèle assez profond, quittant le pied de son lit où je la contemplais depuis longtemps sans faire un mouvement, je hasardais un pas puis deux, pris d'une curiosité ardente, sentant le secret de cette vie offert, floche et sans défense dans ce fauteuil. Peut-être aussi je m'avançais de la sorte parce que regarder dormir sans bouger finit par devenir fatigant. Et ainsi, tout doucement, me retournant sans cesse pour voir si Gisèle ne s'éveillait pas, j'allais jus- qu'au fauteuil. Là je m'arrêtais, je restais longtemps à regarder le kimono comme j'étais resté longtemps à regarder Gisèle. Mais (et peut-être j'ai eu tort) jamais je n'ai touché au kimono, mis la main dans la poche, regardé les lettres. A la fin, voyant que je ne me déciderais pas, je repartais, à pas de loup, revenais près du lit de Gisèle.

Tant que persistait son sommeil je pouvais rêver à elle et pourtant la regarder, et quand il devenait plus profond la

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