Page:NRF 19.djvu/498

Cette page n’a pas encore été corrigée

496 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

d'âge mûr, puis, comme pour se venger d'être privé de la vue, toutes sortes d'évocations visuelles d'une précision et d'une richesse admirables, et aussi des évocations auditives, tactiles, olfactives, le livre de la sensualité et de la douleur. Dans l'affaissement provoqué par la maladie, l'éclat toujours un peu cherché, l'orgueilleuse bravura, qui gâtent un peu d'ordinaire sa prose rutilante, s'effacent ou s'amortissent. Il trouve une sincérité, une simplicité tout humaines, et non plus du tout « surhumaines », qui provoquent l'émotion. Sa dureté s'est amollie. Les pages sur sa mère, sur ses chevaux, sur la bataille de la Marne sont peut-être les plus belles, en tout cas les plus direc- tement belles qui soient sorties de sa plume-fée. Le clinquant et la grandiloquence se font jour parfois, trop souvent même, si la guerre entre en jeu, mais lorsqu'il se borne à « dire une chose », il la suggère dans sa totalité vivante mieux qu'au- cun autre écrivain d'aujourd'hui.

Le premier roman de G. A. Borgese, Rubè, est d'une autre façon, mais autant que le Noiturno, en dehors du courant néo- traditionaliste. Pour dire les choses grossièrement, c'est un livre qui fait tantôt penser à la technique des romans de Sten- dhal, tantôt à celle des romans de Dostoïevski. L'avocat Rubè, à la fois ambitieux et aboulique, intensément intelligent mais incapable de conclure, sans forte vie morale, se lançant dans la guerre par besoin d'action et de certitudes, courageux par réaction contre sa peur, jeté à la misère par la démobilisa- tion, traversant les pires crises et mourant dans une manifes- tation bolcheviste à laquelle il se trouve par hasard mêlé, tel est le héros tourmenté de ce livre bouillonnant et inégal. Rubè n'est pas un symbole, c'est un être vivant, et pourtant c'est constamment la figure de l'Italie de la guerre qu'on croit voir transparaître sous la sienne.

On a vivement reproché son style et surtout sa langue à M. Borgese. Que l'un soit souvent hâtif et l'autre insuffisam- ment châtiée et pure, c'est possible, mais cela n'enlève rien à la signification et à la puissance de ce livre qui marque le pre- mier grand effort du roman italien d'après-guerre pour sortir du régionalisme et de l'humorisme et pour s'insérer dans le vaste mouvement du roman contemporain.

Luigi Pirandello, devenu auteur dramatique à cinquante ans

�� �