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notes 477

vu un journal, soucieux de moralité, demander à quelques comédiennes et femmes de lettres leur sentiment sur ce fanfaron de luxure, et ces dames prendre le parti des mères de famille dans le style des cuisinières. Enfin, un académicien prétend l'avoir rencontré, non sous la forme du serpent de mer, mais sous le travesti de l'autre sexe. Il nous a conté sa découverte, qui ne rappelle en rien, hélas ! les Lunettes de La Fontaine ni les Mémoires de l'abbé de Choisy.

Ce grand caractère littéraire, que l'on a vu tant de fois dans le roman et sur la scène, est-il à ce point difficile à définir que les psychologues et les critiques contemporains soient si loin de s'en former une idée juste ? ou bien, ne pouvant se réin- carner dans une société d'automates, n'est-il plus qu'un mythe en décadence, où sont confondus tous les types de séducteurs, où le plus vulgaire usurpe le titre de héros ? C'est moins à la mauvaise foi d'écrivains victimes du Minotaure, comme le pense Marcel Barrière, qu'à l'insuffisance de la culture générale qu'est due une telle incompréhension. Il faut ajouter qu'un carac- tère à transformations successives, véritable Protée, échappe aux classements hâtifs dont nous avons aujourd'hui l'habitude. Pourtant M. Gendarme de Bévotte, dans un ouvrage plein de savoir et d'intelligence, La Légende de Don Juan, dont la seconde édition est de 191 1, a étudié l'évolution du héros dans la littérature, depuis les origines jusqu'au romantisme. Un tel livre devrait être connu et tant soit peu médité par les drama- turges (terme trop fastueux !), les romanciers, les courriéristes et les bas-bleus qui répondent aux enquêtes. Par lui, l'on com- prend que Don Juan, tel que se le transmirent les écrivains d'autrefois, est foncièrement un philosophe libéré de Dieu par l'Amour ; un aristocrate en marge des lois, toujours jeté dans les partis extrêmes, vers qui les femmes sont naturellement attirées comme par le mâle aventureux et dominateur ; et^ enfin, pour le rajeunir à la moderne, l'incarnation même de Zarathoustra, vivant dangereusement, et cultivant l'égotisme dans son sens absolu. C'est ce que ne lui pardonnent point les esprits médiocres, et pourquoi ils l'ont représenté sous les traits d'un fantoche ou d'un coquin. De plus artificieux, pour corriger le mauvais exemple et montrer la faillite de telles pré- tentions, ennemies de Dieu et des hommes, l'ont ramené à la

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