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PROJECTIONS OU APRES-MINUIT A GENEVE 4I9

��Prospéra raconte :

« J'ai assez connu son aini, en quatorze et quinze. On l'appelait le Mousquetaire ; ou encore le Diable. On ne l'aimait guère, ce Trotsky ; parait qu'il hypnotisait. Il faut vous dire qu'avant les jazz, je faisais les déménagements des étudiants russes. C'était un bon client. Les étudiants russes c'est très changeant ; par fierté, ils ont souvent des raisons avec leurs logeuses. Si j'ai bonne mémoire, le dernier tra- vail que j'ai fait pour l'asticot en question, c'était de la rue des Pitons à la rue de Carouge. Karoujka, comme il disait. C'était au 145. Il y en avait des rousski là-dedans ! J'ai su depuis par un copain de la Secrète (qui est ami au patron vous comprenez) que Louna, celui qui logeait Trotsky, est ministre de l'Instruction là-bas. Le gros Louna, comme on l'appelait ! Pour de l'instruction ils en avaient ces gens ! Ça causait boche, français des heures de file en sifflant des verres de thé, qu'ils tenaient comme ça, entre leurs paumes. Je vous dirai que je faisais des nettoyages des bri- coles chez eux. Pour en revenir à mon mouton, haha, il avait une valise de carton avec un trou comme le bras. Un bout de chemise pas propre en sortait ; ou bien des petits papiers écrits en étranger : ou bien une pantoufle ! Vous me croirez ou non, ce citoyen-là me doit encore les trois francs septante de la dernière course. De quoi faire le rentier dans son pays ! »

conclut" Prospéra, calant entre ses cuisses le grand tam- bourin qu'il nomme Thézou.

  • *

■' Le petit brun qu'on appelle l'Algérienne tamponne ses lèvres avec un mouchoir bradé. Sa main fait ses cheveux plus vaporeux. D'un doigt mignard, il gratte longuement un grain de poussière au bas du gilet.

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