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était venue, qu’il avait choisi, durant ses moments de calme, de mourir confortablement dans ce lit. Il avait chaud. Il se refroidirait pour aller mourir aussi bien dans la rue, comme un chien, sous les yeux de toute la ville qui se réveillerait d’un seul coup dans une seconde, quand il allait lui déplaire de crier. La deuxième porte s’ouvrait. À la lueur de la veilleuse, il aperçut la tête pâle, sublime, de son assassin. Il éprouva aussitôt la démangeaison de saisir sous l’édredon son revolver, pour tuer quelqu’un ou pour dissiper un cauchemar, en faisant du bruit. Mais peut-être était-il trop tard ? Les deux petites déjà pleuraient dans la chambre voisine. Alors en un geste court, interminable, fatigant, d’un siècle entier, il joignit ses mains qui s’étaient éloignées l’une de l’autre sous le drap et qui se résignaient les premières à ne pas le défendre ; il détendit ensuite lentement le muscle de sa nuque, pour abandonner sur l’oreiller sa tête qui avait le tort de vouloir encore se raidir, s’obstiner dans l’inutile inquiétude.

L’assassin espérait toujours, quand le sous-officier venait d’achever son acte d’abandon. Résolu à tuer, Clodomir était plus malheureux que le sous-officier résigné à mourir. Il espérait toujours que Sidonie serait seule. Il avait voyagé dans un train de marchandises pour arriver à l’improviste. Le bruit avait couru devant lui, comme un pressentiment, qu’on l’avait aperçu la veille dans la brousse. Il y avait passé vingt-quatre heures. Il se croyait toujours dans l’herbe qui lui piquait les paupières, quand il se pencha sur le lit de sa femme. Sidonie venait de se réveiller. Elle avait tout compris en un clin d’œil : elle jeta le plus grand cri de sa vie qui déchira le silence du monde et jeta debout toute la ville. De la gorge crevée de son amant le sang coulait. Clodomir avec douceur lui disait : — « Aime-le bien ainsi. Caresse-le, mais caresse-le donc. Moi, je vais en prison ; c’est meilleur que dans tes bras. » Elle poussait de longues plaintes aiguës qui suivaient monotones, comme un troupeau d’hyènes, le gémissement sourd du