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LES REVUES 383

LES REVUES

LÉON BLOY

Dans les Marges du 1 5 juillet, Ardengo Soffici raconte avec verve une visite qu'il fit jadis à Léon Bloy. Conduit par une inquiétude spirituelle dont il espérait trouver l'apaisement auprès du vieil écrivain, ayant travaillé à l'avance le catéchisme et préparé soigneusement l'exposé des doutes dont il voulait se débarrasser, il vint sonner à la porte du maître :

La femme qui m'avait ouvert et conduit dans cette pièce me laissa en sa présence. Léon Bloy qui était assis à une petite table à l'écart, se leva dès qu'il me vit arriver et me reçut avec quelques paroles aimables auxquelles je répondis sur le même ton, tout en examinant sa personne ; et celle-ci correspondait encore moins que la maison à l'image impri- mée. C'était le même personnage trapu et corpulent, mais tandis que dans la photographie il paraissait plein de dignité, vêtu d'une jaquette de velours, le visage portant les signes de la méditation, empreint d'une noble énergie, voici que je le voyais devant moi, son large tho- rax couvert d'un gros tricot de laine grise de cycliste, les mains sales, les cheveux ébouriffés, les moustaches blanches tombantes, broussail- leuses et humides ; une tête commune, vulgaire, de marchand de vin de faubourg ou d'agent de police colérique et rancunier.

Puis les déceptions se succèdent. Soffici ayant longuement expliqué la difficulté qu'il éprouve à concilier l'existence du Diable avec celle de Dieu et ayant posé l'éternel « problème du mal » :

Je regardai Léon Bloy, poursuit-il, attendant réponse à mon pro- blème théologique — qui n'avait rien de rare, du reste — je lui vis les sourcils froncés, le front coupé verticalement par un profond sillon entre les deux sourcils, le regard dans le vide. Il demeura un instant ainsi, puis :

— En effet, dit-il lentement, il y a là une difficulté.

Mais la conversation tout de suite dévie vers des sujets moins transcendants. Soffici ayant eu l'imprudence de demander à Bloy s'il était allé à Rome :

— Moi ? s'écria-t-il d'une voix rauque et avec une véhémence dramatique. Moi, aller dans cette ville maudite où l'on voit des cardinaux qui s'appellent princes de l'Eglise et qui s'en vont dans des carrosses dorés ; où le Pape, étant prisonnier, habite dans un palais

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