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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 333

même temps que toucher un revenu « intéressant ») tenir la tranchée, se ruer sur l'ennemi, charger à la baïonnette, vomir les grenades. Le journaliste en pyjama, qui faisait son article à côté de son chocolat, il ne faisait pas son article, il était sur la brèche, comme au temps de Vauban, ou, plus moderne, il opé- rait des tirs de barrage, il repérait l'adversaire, il veillait au cré- neau. Laissons à la littérature sa pâture de ces métaphores. Mais ne serait-ce pas une tâche possible, modeste, honorable, que d'en défaire ce champ réduit qui s'appelle la critique litté- raire ? Le problème des influences est le plus délicat, le plus compliqué, le plus dangereux qui soit. La littérature comparée, dont M. Reynaud me parait un des excellents ouvriers, a déjà assez de peine à s'y débrouiller, pour que nous n'ajoutions pas à son embarras en lui laissant sur la tête le casque Adrian de ces images guerrières. Même si certaines branches de la science doivent rester au service, celle-là mérite un tour de faveur pour être démobilisée la première.

Ne nous étonnons donc pas si le livre encore mobilisé de M. Reynaud comporte, dans sa riche information de détail, quelque déformation d'ensemble. La principale me paraît celle- ci. France et Allemagne, dans toute la période qui précède 1870, sont prises par lui comme des réalités politiques, analo- logues à l'Allemagne unifiée et hostile d'après 1871. Il a dès lors beau jeu à reprocher leur germanisme et leur aveuglement à tous les Français qui ont été curieux de choses allemandes et perméables à l'influence allemande. La Revue des Deux Mondes ayant tenu, jusqu'en 1870, son public au courant des choses d'Allemagne, M. Reynaud nous apprend que Buloz lui donna le caractère d'un « organe du staélisme dans la politique et les lettres. Ce programme comportait essentiellement la diffusion du germanisme. La Revue des Deux Mondes négligea si peu ce côté de sa mission qu'elle fut, au xix e siècle, le véhicule par excellence de l'influence allemande en France. » Ne croirait-on pas entendre parler de la Galette des Ardennes ou du Bonnet Rouge ? Buloz faisait son métier d'informateur, et de directeur d'une publication qui essayait alors de tenir les promesses de son titre en mettant ses lecteurs au courant de ce qui se passait dans les « deux mondes ». On ne pouvait raisonnablement demander aux gens de 1850 de se placer au point de vue du

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