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SILBERMANN 327

d'ingénuité et de gentillesse dans les .mouvements et les mines de ces garçons, ils me parurent avec une telle évi- dence plus heureux que je ne l'étais, que l'envie me vint de me mêler à eux et de recevoir le même baptême déli- cieux...

A ce moment, quelqu'un, qui tête baissée se protégeait contre la pluie, se réfugia à côté de moi. Sous l'abri, la tête se releva; et je reconnus Philippe Robin. En me voyant, il s'arrêta, rougit et esquissa un sourire. Sans rien dire, je m'écartai un peu pour lui faire place. Et comme je fai- sais ce mouvement je découvris derrière nous un dessin sur le mur. C'était une caricature au fusain représentant grossièrement Silbermann. Les traits avaient pâli, mais ils avaient entaillé la pierre et étaient encore bien visibles. On reconnaissait, surplombant le cou maigre, le profil angu- leux, le nez recourbé, la lèvre pendante. Au-dessous on lisait une inscription : Mort aux Juifs.

Le regard de Robin s'était porté en même temps que le mien vers le mur. Il rougit plus fort, hésita un instant, puis, d'une voix humble et caressante, il murmura :

— Veux-tu que nous oublions tout cela et que nous redevenions amis ?

Oublier?... Etait-ce possible ? A la vue du dessin et de l'inscription, une ardeur comme mystique s'était rallumée en moi. Je pensais à ce que j'avais appelé ma mission, je me remémorais ma promesse initiale, la longue lutte sou- tenue, mes efforts pour sauver Silbermann ; j'avais le sou- venir du frissonnement extraordinaire qui s'emparait de moi lorsque, à ses côtés, honni et frappé autant que lui, je répétais : «Je lui sacrifie tout »... Non, ces choses ne pouvaient point s'effacer. La moindre parole de réconcilia- tion me parut un reniement. J'eus l'impression qu'elle ne pourrait sortir de ma gorge ; et raidi, les dents serrées, je demeurai dans un silence farouche.

Mais comme je repassais mentalement par ces épreuves, j'aperçus la voie où j'étais engagé ; voie difficile, abrupte, où

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