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320 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

échappé. Je n'avais pas oublié l'étrange figure de mon père s'acharnant à m'imputer des actions infâmes, ni l'attitude de ma mère cherchant à me détacher de Silbermann par les moins nobles arguments.

Un soir, comme j'allais pénétrer dans la salle à manger où ils se trouvaient, j'entendis prononcer le nom de Sil- bermann. Je m'arrêtai sur le seuil. J'étais caché par une portière.

— Sa culpabilité ne fait point de doute, disait mon père. Mais en somme on peut dire que les charges relevées contre lui ne sont point précises.

— S'il en est ainsi, mon ami, considère combien l'appui d'un député influent peut te servir. En faisant ce que Magnot te demande, tu acquiers tous les droits à sa reconnaissance.

Je soulevai la portière et entrai.

Ma mère s'interrompit. Son visage et celui de mon père prirent aussitôt cette contenance grave et recueillie que je leur voyais toujours au moment que nous nous instal- lions à la table du repas. Oui, c'était devant moi, sous la lumière du globe suspendu, le tableau quotidien, la céré- monie habituelle. Cependant, le changement de leur phy- sionomie n'avait pas été si prompt que je n'eusse surpris dans les traits de ma mère une expression mélangée de cupidité et d'insistance, et dans le regard de mon père une sorte de vacillement. Alors, brusquement, la question que Silbermann m'avait posée un jour me revint en mémoire : « Qui pourrait agir sur ton père ?... une personnalité poli- tique ?... Mon père en connaît plusieurs. » Je compris que l'on avait fait certaines démarches en faveur du père de Silbermann ; je compris que ma mère, mise au courant des faits, était en train d'évaluer avec une âpre connais- sance le profit à tirer de la situation, et que le juge, mon père, qui avait toujours présenté à mes actes l'exemple d'une droiture inflexible, hésitait et même penchait vers la fraude.

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