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côté. Mes bras, écartés par lui, étaient retombés et me sem- blaient tirés par des poids.

« Oui — dit-il, étouffant avec peine sa colère — je pars, j'abandonne mes études, je renonce à tous mes projets. Le frère de mon père, mon oncle Joshua, qui est cour- tier de pierres précieuses à New-York, me prend dans ses affaires.

Us triomphent, les Français de France ! Songe donc : un Juif de moins auprès d'eux !... On va se réjouir à Saint-Xavier lorsqu'on apprendra cette nouvelle !... Ah! les imbéciles ! Croient-ils, parce qu'ils ne me verront plus ici, qu'ils auront un ennemi de moins ? Ne savent-ils pas que c'est pour avoir été rejetée toujours et par tous que notre race s'est fortifiée au cours des siècles ? »

Sa voix sifflait. Les muscles de son cou, raides et gonflés, faisaient penser cà une nichée de serpents re- dressés.

Puis, éclatant tout à coup et lançant les mots avec feu comme s'ils jaillissaient d'un brasier secret :

« Pourquoi cette explosion d'antisémitisme en France ? Pourquoi l'organisation de cette guerre contre nous ? Est- ce un mouvement religieux ? Est-ce le vieux désir de ven- geance qui se ranime ?... Allons donc ! Votre foi n'est plus si vive ! Non, ce n'est pas si haut qu'il faut chercher les raisons de vos attaques. Je vais te dire quels sont les véritables mobiles qui vous font agir : c'est un bas égoïsme, c'est l'envie la plus vile. Depuis quelques années, il est venu dans votre pays des gens plus subtils, plus hardis, plus tenaces, qui réussissent mieux dans toutes leurs entre- prises ; et au lieu de rivaliser avec eux pour le meilleur résultat commun, vous vous liguez contre eux et cherchez à vous en débarrasser. Votre haine, c'est le sentiment qui fait que quelquefois dans une équipe d'ouvriers, celui qui travaille plus habilement ou plus vite reçoit des autres un coup de couteau. Cela est si vrai que la classe la plus acharnée contre nous est la bourgeoisie, la haute bour-

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