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SILBERMANN 303

est soumis à la justice, est-ce que ses ennemis ne devraient pas l'épargner ? »

Nous fûmes dépassés à ce moment par un groupe d'élèves de S r -Xavier qui se rendaient au lycée et qui, à la vue de Silbermann, se retournèrent à plusieurs reprises, en ricanant et en sifflant. Aussitôt Silbermann se redressa et prit mon bras avec une feinte désinvolture, tout en me disant sour- dement :

« Hein ! Regarde-les... Quelle cruauté !... Ah ! je la sens bien, la charité chrétienne ! »

Puis il continua avec une figure farouche :

« Mais ils ne triompheront pas de moi. Ils veulent me chasser d'ici. Je résisterai, je leur prouverai que moi, je les ai, les qualités que l'on prête à ma race. Après tout, je ne suis pas le premier Juif que l'on persécute. »

Et je sentis ses doigts qui s'agrippaient profondément à mon bras.

Mais s'il n'était pas le premier, on eût dit que sa chétive personne fût chargée de la réprobation universelle et légendaire jetée sur Israël. Car, au lycée, depuis que Silber- mann passait pour le fils d'un voleur, ceux qui le taquinaient par simple jeu et non parce qu'il était Juif, changeaient de disposition à son égard. Il semblait que cette disgrâce eût ouvert leurs yeux ; ils découvraient maintenant le type sémite de Silbermann, de même que l'on remarque le pouce monstrueux et les oreilles décollées de l'homme placé entre deux gendarmes. Mêlés aux autres, ils accep- taient de le flétrir par l'invective commode de «sale juif». Et à présent, chacun, sans exception, accablait Silbermann sous l'opprobre de sa race. De même, chacun, sans dis- tinction d'opinion, lisait le journal royaliste où tous les jours le père de Silbermann était traité de voleur, de pilleur d'églises, et dépeint sous des traits comiques et odieux. Sil- bermann en trouvait des exemplaires partout, jetés à sa place en classe ou glissés dans sa serviette.

Les attaques avaient repris et devenaient chaque jour

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