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296 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

remontrances de mon père. Souvent je me sentais observé par lui comme si une grave accusation pesât sur moi. Mais, si je continuais à les chérir tous deux, ni ma mère, par ses bons enseignements, ni mon père, par ses justes sentences, n'avaient plus de pouvoir sur ma conduite. Lorsque le soir, ayant passé la journée avec Silbermann, l'ayant suivi, veillé, servi, je me retrouvais devant eux, c'était avec le détache- ment des âmes mystiques en présence de leurs terrestres amours. Entendant agiter des questions telles que l'avance- ment de mon père ou les occupations charitables de ma mère, j'éprouvais l'insensibilité mêlée d'indulgence que ces âmes témoignent aux propos des mondains. Quelquefois, peut- être, mes parents voyaient un sourire rayonner vague- ment sur mon visage. C'est que, rêvant au sort de Silber- mann, j'imaginais un subit revirement éclatant sur terre en faveur des Juifs, la fin de son tourment, bref un dénoue- ment imité de celui d'Estber. Mais le plus souvent, au contraire, mon imagination, sans doute afin de multiplier les amorces incomparables du sacrifice, se plaisait aune pein- ture très rude de l'avenir et me faisait tirer de toutes choses des pressentiments funestes.

Ainsi, un jour, au lycée, je vis Robin dire quelques mots à Montclar. Puis celui-ci s'approcha de Silbermann et lui cria en ricanant :

« Eh bien ! Juif, il paraît qu'on a pris ton père la main dans le sac ? »

Silbermann blêmit et ne répondit rien.

Aussitôt, d'après cette scène, je conjecturai tout un com- plot ourdi par les ennemis de Silbermann, je vis un désastre inouï fondant sur lui...

Hélas ! cette fois-ci le pressentiment était juste. Quel- ques jours plus tard, Montclar, Robin et les autres élèves de Saint-Xavier, arrivant au lycée le matin, annoncèrent, montrant un journal, qu'une plainte était déposée contre le père de Silbermann.

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