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SILBERMANN 289

nement du troupeau qui rentrait à la bergerie. D'un côté, je contemplais, à l'infini, les lignes parallèles des vignes ; de l'autre, le clos des mûriers, le bois d'oliviers. Et à con- sidérer cette graisse de la terre dont je me trouvais pourvu, j'étais exalté par un sentiment de reconnaissance. Je mur- murais :

— Faire le bien... faire le bien... Je me demandais :

— Qui puis-je sauver ? A qui me dévouer ?

J'allais interroger l'image de mon oncle, et j'étais dans une telle fièvre que je croyais voir dans la pénombre les lèvres du jeune missionnaire me dicter une tâche.

Pendant les vacances, Silbermann, qui avait peut-être senti le refroidissement de nos relations et s'en inquiétait, ne me laissa point l'oublier et correspondit fréquemment avec moi.

Il faisait en compagnie de son père un voyage en automo- bile à travers la France. Ses lettres, fort détaillées, me décri- vaient les régions qu'il visitait. Il portait, sur le pays et les gens, des jugements critiques bien rares à notre cage et qui me paraissaient le signe d'un cerveau supérieur. Grâce à sa mémoire qui était extraordinaire, grâce aussi, sans doute, à l'aisance d'un esprit libre de toute attache, il assimilait promptement tout ce qui passait sous ses yeux et composait de vastes tableaux qui débordaient mes vues étroites. Ces lettres rappelaient une foule de faits historiques et abon- daient en citations littéraires. Celle qu'il m'écrivit d'Amboise me fit une peinture de la cour des Valois ; peinture chargée de sang et de poison, bien faite pour justifier le sentiment d'aversion que m'inspirait la dynastie de la Saint-Barthé- lémy. Il se plaisait aussi à imiter le style d'un écrivain célèbre. Il réussissait cet exercice à merveille, trop bien même, selon l'opinion de notre professeur, ainsi que je l'ai rapporté. Passant à Chinon, il m'écrivit plusieurs pages dans la langue de Rabelais, qui me divertirent fort.

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