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FRAGMENTS D'UN JOURNAL DE GUERRE 283

Je saute, je me précipite vers la rue. Des chevaux passent au galop. Des voitures grincent. « A 6 h. 30 tout en ordre démarche. — Nous reculons. » Un commandant d'Etat- Major rit nerveusement et setend du miel sur du pain. D'autres se tiennent autour des cuisines roulantes et avalent rapidement du thé chaud. « Les Français vont en faire une figure, je voudrais être là pour les voir quand ils décou- vriront que nous sommes tout à coup partis. Ils le prendront naturellement comme une grande victoire. Pourvu seule- ment que les avions ne sortent pas trop tôt! Allais, Dieu merci, le ciel se couvre complètement. Aujourd'hui leurs batteries tirent en champ libre 1 » Rire général. « On doit avoir entrepris un changement de front. — Est-ce qu'il faut toujours placer les mortiers en avant ? — Non, ce n'est plus nécessaire. — Mais nous voulons aller cher- cher nos how itzers. » Le vent du matin traverse la plaine en sifflant. Je titube. Les régiments reviennent par groupes isolés de trente hommes, a Reculer ? » Ce mot s'élève dans l'espace comme un point d'interrogation sombre. « Recu- ler. » Le général regarde par la fenêtre et demande à un homme : « Où étiez-vous ? — Près de la ... c Division. — Et ...? » Il se penche hors du cadre. « Les soldats veulent savoir pourquoi nous reculons. On crie, on grogne : d'abord on nous précipite en avant, maintenant en arrière. Il faut simplement abandonner les positions acquises. » Le général met la main dans sa poche. « C'est dégoûtant, il va pleuvoir. » Ses cheveux blancs se soulèvent dans le vent. « Affreux. » Il se caresse la moustache. « Nous chan- geons de front, ou plutôt, Dieu sait ce que nous faisons. Moi non plus, je ne suis pas orienté. » Il nous regarde tous tristement. « Tout allait bien là-bas cependant ? Il semble que l'armée formant aile droite ne nous ait pas suivis ! Cest peut-être pour cela qu'on nous ramène en arrière. » On apporte la nouvelle de fortes pertes. Le général la regarde, soulève un appareil photographique qui est sur le rebord de la fenêtre, le repose soigneusement. Il met son

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