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FRAGMENTS d'un JOURNAL DE GUERRE 2~ -)

tations s'élèvent des cheminées. Crayeuses, sans vie, exi- lées, elles témoignent des foyers où les hommes venaient jadis apporter leur pain. Nous parcourons au trot des villes mortes. Voici un petit soulier d'enfant, sur un tas de bouteilles d'eau-de-vie cassées. Des nuages déchiquetés passent comme des oiseaux de nuit devant le disque rouge et fumeux du soleil. A gauche, dans le petit bois que nous traversons, sifflent des shrapnells, comme un triom- phe de démons.

Un soldat, avec un bras blessé, qu'il tient attaché au- dessus de sa tète, nous croise, le regard égaré. Derrière lui trotte lourdement un veau. Des vagues nous appor- tent par bouffées l'odeur de la décomposition. Nous subis- sons les choses comme dans un cauchemar. Les façades des maisons s'effondrent autour de nous comme des fan- tômes. Des hauts murs s'anéantissent sans laisser de traces. Le feu lèche toutes les pierres. Le feu brûle la charpente des toits. Le feu brûle dans les caves. Pourquoi une seule flamme, Dieu Tout-Puissant, ne brûle-t-elle pas toute cette folie qui tient ta terre aux entrailles ? Ou ceci est-il déjà le commencement de ton jugement ? Un troupeau de chèvres se presse et se bouscule à notre approche. Les bêtes noires, dans les nuages de fumée épaisse, ressemblent à des diables. Un poste nous arrête, le chemin est barré. Nous sautons à terre et poursuivons notre route à pied. Devant moi galope un cheval sans maître, dessellé. Sur sa robe blanche se mélangent les reflets du ciel bleu, et la lueur des incendies. Il dresse les oreilles. Je le saisis par le licol. Une grenade éclate et il se sauve au galop., comme un Pégase errant. Les étincelles dansent, volent autour de lui.

L'artillerie commence son tir de préparation. Un pom- mier resplendit chargé de fruits, intact au milieu d'un jardin dévasté. Ses branches s'étendent jusqu'à une église dont le transept est brûlé. Nous devons enjamber u:\ cheval bouffi et éventré. Une patte pend, rabattue comme

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