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FRAGMENTS d'uX JOURNAL DE GUERRE 277

prises avec cette époque qui ne sait que se renier et se déchirer elle-même. Mais ce combat contre la guerre qu'il mène jusqu'au cœur même de la bataille, ne le conduit jamais à la polémique ; il ne verse pas dans la littérature politique. C'est un poète qui parle, et c'est avec le lyrisme le plus vigoureux et le plus dé- pouillé qu'il flétrit les horreurs dont il est, malgré lui, le témoin.

Opfergang r , son œuvre la plus importante jusqu'à présent, (avec sa trilogie dramatique Une Race, où passent, par mo- ments, des souffles véritablement Eschyliens) fut interdite par la censure impériale, et ne put paraître qu'en 19 19. Ce roman avait été écrit dans les tranchées devant Verdun.

Le lvrisme de Unruh, contrairement aux tendances habi- tuelles de la littérature allemande, est simple et nerveux. Les images naissent, fortement cernées par les mots, et s'expriment sans défaillance. L'usage d'une phrase souvent extrêmement elliptique et d'un schématisme voulu, lui permet une violence et une netteté prodigieuses. C'est que son esprit nourri des grands classiques, de Shakespeare, et des tragiques grecs, connaît également les exigences des champs de bataille, où tout est réduit à l'essentiel, où chaque détail prend toute sa va- leur et où chaque instant se révèle riche d'éternité.

Unruh se veut une pensée nettement occidentale. Il ne prêche pas un vain pessimisme. Il sait qu' « au détour, déjà le but commence » et que l'homme est tout entier entre les mains des dieux.

Son style, qui évoque par certaines tournures la manière sobre et virile de Tacite ou de César, il ne le met pas au service des vaines philosophies prophétiques, actuellement en vogue dans les pavs d'Outre-Rhin. Sa sensibilité ne se com- plaît pas dans les molles séductions d'un Nirvana agréable et réconfortant. Il ne fuit pas devant la Vie, mais l'accepte tout entière, telle quelle, sans honte comme sans vain orgueil, parce qu'il est un homme, et que c'est à lui d'en justifier les dons les plus magnifiques ; et devant le carnage et la destruction universels, il se sent gonflé soudain de la présence consolante et inexplicable de « deux ou trois choses divines ».

J. BENOIST-MÉCHIN

1. Titre malaisément traduisible, et dont le sens approximatif est « la Marche au Sacrifice ».

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