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272 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sition. Iphigénie laisse pendre ses jambes nues dans l'atmos- phère. Il rêve à la Grande Ourse et au général Washington. Pendant ce temps, le Grand Barbu lui déboutonne le panta- lon, l'enlève, et le jette dans le firmanent. Il lui ôte le veston, et en affuble le torse d'un singe malade surgi à point au bout de ma phrase. Il défait le faux-col immaculé, la cravate à pois, et met le tout dans sa poche. Il ne reste plus qu'à délacer la chemise. Et voici Iphigénie tout nu. J'ai beau me voiler la face, le Grand Barbu pousse un cri d'amour, les chevaux hennissent, le soleil se lève, les Peaux-Rouges surgissent de toutes parts, et la cavalcade s'arrête sur les bords du Rio Grande del Norte...

��Nous voici, me dis-tu, en pleine imagination. Non point ! Mon imagination à moi est un escargot gras qui adhère à la réalité avec son mol ventre. Il se balade sur le monde, sur les oreilles des femmes, et sur les tableaux de maîtres, et tâte la substance des choses avec ses deux cornes flasques. Critique, ô crétin, qui considères un Rembrandt ou un Maurice Denis du haut de deux grosses lunettes, à la dis- tance réglementaire de huit pas, sache que nul ne saurait comprendre un tableau, s'il n'a passé sept fois sa langue sur la peinture sèche et acre, s'il n'a sept fois écouté, l'oreille contre la toile, le bruit tricentenaire de la brosse. Tu dis, homme à une dimension, que le soleil brille. Mais l'ima- gination de mon escargot sait que, à neuf heures, sur un talus du Texas, il a le goût ferme d'une de ces prunes violettes mûries par vent du Nord ; que, à quinze heures, sur Chandernagor, il parfume d'oeillet pourri l'âme avariée des congaïs ; et que, à minuit, par la ligne des Antipodes, il me communique à travers le globe son essence souter- raine d'orchidée. — Mon imagination est encore une douairière japonaise à monocle shelleyen... Mon imagina- tion est aussi un grattoir de rengaines et de parchemins... etc.. etc.. Nous l'avons laissée sur les bords du Rio Grande

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