Page:NRF 19.djvu/266

Cette page n’a pas encore été corrigée

264 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'harmonie. Il sait que les mots ont entre eux, dans l'ab- solu, des affinités secrètes ; non de sens, de forme plutôt, ou même simplement de démarche :

Salut encore endormies

A vos sourires jumeaux,

Similitudes amies

Qui brilleiparmi les mots ! T

Ce sont des ressemblances si subtiles et si injustifiables que le poète seul est capable de les remarquer ; le sens plus souvent les voile qu'il ne les révèle.

Cest sur elles pourtant qu'il compte pour s'arracher à l'arbitraire; il sent bien qu'elles seules, justement, ont avec le hasard assez de complicité pour pouvoir le séduire et le ramener enchaîné.

Il va donc les toucher, il les frappe comme de pacifiantes cymbales.

Tout le problème pour lui consiste, aidé par la méca- nique du vers, à rallier secrètement les mots épars, à révéler leur latente parenté, à les engager dans une sorte de conspiration harmonique et à rétablir ainsi dans son intelligence un substitut de l'ordre et de la nécessité dont sa vacance la prive. Les « belles chaînes » des mots vien- nent remplacer l'enchaînement du réel ; elles empêchent les idées de se débander ; les vers courent après elles et, comme avec de confuses mains, les appréhendent, les retiennent, les apparient.

Brandissant son poème, Valéry veut :

Que cette plus pâle des lampes Saisisse de marbre la nuit 2 .

Et en effet, au sein de la nuit mentale, de pures « co- lonnes » s'élèvent peu à peu et « chantent » ; une régula- rité se déclare, à laquelle, avec le poète, nous nous atta-

1. Aurore, p. 7.

2. La Pythie, p. 40.

�� �