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CORRESPONDANCE 253

IL UNE VUE OPTIMISTE SUR LA SITUATION DE LA FRANCE

En réponse à l'article paru dans le numéro de juillet de la Nouvelle Revue Française sur les Dangers d'une politique conséquente, M. Adolphe Delemer nous adresse les intéressantes considérations qu'on va lire :

J'ai lu avec une satisfaction extrême le dernier article de Rivière. Répond-il aux préoccupations de beaucoup de Fran- çais ? On serait aise de le savoir. Je crois, pour ma part, com- prendre le souci qui l'a dicté. J'ai connu le même déplaisir.

Quiconque possède une cervelle active et des nerfs sen- sibles, qui se sent vivre et qui pense, souhaite invinciblement que l'esprit règne sur les choses ; il l'imagine pareil au nageur qui pèse sur l'eau et la fend, apte à se gouverner parmi les forces qui l'entourent. Être, penser, agir, pour lui, ne font qu'un. Sa pensée va droit à la vérité, nulle entreprise n'abou- tissant dans l'irréel.

Le contraste entre cet appétit intellectuel et la pâture journa- lière est vraiment rude. Nous sommes abreuvés d'éloquence, mais, pour les idées, mis à jeun. Quand donc avons-nous vu paraître une conception forte et pleine, qu'on sentit accrochée par de fermes racines au terreau fécond des choses ? Un trait marque le temps présent : on y bavarde, on y crie, comme dans la salle d'un banquet, à l'occasion de mille détails vains ; sur le principal on se tait. La libre recherche des soins qu'il serait urgent d'appliquer à un monde en défaillance, est en faveur dans certains pays. Point chez nous ! Comme un chœur hypnotisé, nous entonnons sans relâche, au rythme scandé par les politiciens, nos formules sacrées, que l'univers et que les faits repoussent. L'étranger, qui nous écoute, se demande quelle perte de substance cérébrale a bien pu affaiblir à ce point l'esprit français. La guerre a-t-elle donc emporté tout ce qui, parmi nous, vivait, pensait, agissait ?

Etrange atmosphère ! Partout se respire comme une odeur de chloroforme. Les têtes sont assoupies. Elles cèdent à une indicible mollesse, qui fait la fortune despipeurs. On les devine individuellement remplies de préoccupations si étrangères à ces affaires qui les lassent, que l'on est pris de la peur de parler. On se sent devenir timide. On se renferme. L'on rougirait de

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