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curieuses. M. Prévost avait des qualités ; on ne prend pas la foule avec rien. Les Georges Ohnet eux-mêmes apportent quelque chose. M. Benoit a sa solide construction dont on commence seulement à sentir la monotonie, M. Bordeaux a un bel équilibre de médiocrité, une santé parfaite, M. Bazin a de la douceur, une allure paisible et de beaux sentiments. M. Prévost vaut mieux que ses trois concurrents et il a réussi quelques lettres de femmes. Sa fluidité intarissable, dans un billet de femme devient presque gracieuse. Il a surtout ce goût de la tare et de la difficulté physiologique qui est son apport particulier dans la littérature française et qui chatouillera toujours les sens ignorants ou insatisfaits. Il a l’art de jeter des voiles sur ces petites polissonneries, d’aguicher ainsi la curiosité en l’énervant d’un parfum de sacristie jésuite, de confessionnal élégant.

Malheureusement pour les Don Juanes, on ne fait pas un roman avec si peu de chose. Les lectrices de M. Prévost frissonneront au chapitre où l’impuissante vient consulter le gynécologue, s’évanouit dès qu’on veut le toucher. Mais ce n’est qu’un chapitre. Le livre a 400 pages.

Sur la bande l’éditeur annonce qu’avant le tirage 100.000 exemplaires étaient commandés. Vendre ce livre avant qu’on le connût, c’était bien le meilleur parti.

PAUL RIVAL

LUCIENNE, par Jules Romains (Editions de la Nouvelle Revue Française).

J’avais refermé ce beau livre de Lucienne, où Jules Romains nous fait part d’une figure inédite de l’amour, et relevais vers les choses un regard interrogateur : elles m’ont fait l’une de ces réponses fugitives, mais profondes, que l’on en reçoit parfois au sortir des régions de l’art. (L’œuvre en effet, tandis que vous vous occupez d’elle, s’occupe de vous : elle donne subreptice- ment le mot au monde). Ce que j’aperçus alors de l’univers — ce morceau d’univers que fait le coin d’une chambre — n’avait pas de forme verbale. C’était une pure idée, l’idée la plus limpide, la plus lucide, de la transparence et des puissances de chaque objet. Les murs solidement joints et bien d’équerre, les vouloirs des passants de la rue visibles au travers d’eux,