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228 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'artiste, écrite seulement pour aider à celle du sentiment artis- tique, est peu poussée ; mais les notes sur l'Art moderne cons- tituent la meilleure justification du mouvement littéraire dit « cubisme » que l'on ait écrite jusqu'ici. Plus étendue et moins personnelle que celle de Pierre Reverdy, plus exacte que celle de M. Epstein, elle me semble susceptible de rendre sensible à un lecteur non prévenu le charme que M. Max Jacob appelle la poésie moderne ; et son apologie du Cornet à Dés est excel- lente.

Mais Max Jacob use d'arguments pipés dès qu'il nous parle de l'art chrétien. « L'art chrétien, dit-il, réprouve la passion. » Cela n'est pas très exact. L'art chrétien réprouve les passions humaines, et non la passion ; car il la sollicite lorsqu'elle n'a pas d'autre objet que Dieu. Ce n'est pas la passion même qu'il réprouve, mais bien l'indignité des objets sur lesquels elle s'exerce d'ordinaire ; et comme, jusqu'au xvn e siècle, l'art chré- tien fut seulement un art religieux, il fut passionné. « Le xvn e siècle littéraire, dit-il encore, est entièrement chrétien même quand il est athée : la force, le renoncement, l'obéis- sance, l'ordre, l'humilité, la pauvreté d'esprit, la sobriété, la chasteté, le respect sont à la fois les vertus esthétiques et les vertus chrétiennes » et « On entend par art chrétien l'art de la tenue ». Max Jacob veut donc que l'art chrétien ne soit pas l'art créé par l'artiste chrétien, mais un art possédant certaines qualités définies. Il est pourtant regrettable de constater qu'aucun chrétien ne s'est exprimé par cet art hors de la tra- dition latine (Ruysbroek, Ekkehardt, l'auteur anonyme du Muspilli, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Catherine Erame- rich, etc.); que les deux mouvements par lesquels ces qualités se sont le mieux exprimées — dans l'ordre plastique, il est vrai — l'époque grecque qui commence par les archaïques et se termine à Phidias, et la première Renaissance italienne, sont l'un strictement païen, l'autre déterminé par les Albigeois hérétiques ; et que, si nous acceptons la proposition que nous fait Max Jacob, et qui lui est évidemment chère, nous ne pouvons considérer Dante comme un artiste chrétien, alors que nous pouvons le faire d'André Chénier.

ANDRÉ MALRAUX

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