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CHRONIQUE DRAMATIQUE 219

chez moi. Je les tiens tous du hasard. Ce sont tous des bêtes que j'ai trouvées et recueillies, belles ou laides, jeunes ou non, ces questions ne m'occupant pas, mais seulement la détresse et le besoin. Eh ! bien, vraiment, je ne sais pas si le secours que je leur ai donné n'est pas pour quelque chose de plus dans l'atta- chement qu'ils me montrent. Je ne fais pas de sensiblerie exa- gérée à l'égard des bêtes. Je garde à leur endroit mon sens cri- tique. Elles ont tous les défauts des humains et, entre elles, elles ne valent guère mieux que nous entre nous. Je parle d'elles uniquement dans leurs rapports avec nous, en disant que des êtres faibles, muets, dans notre entière dépendance, que nous mêlons volontairement à notre vie sociale, ont droit à des égards, à la protection, et ne sont pas du tout des jouets qu'on prend un jour et qu'on met à la rue un autre jour. Mais alors, dans leurs rapports avec nous, quelles qualités intelligentes et effectives ! Je me rappellerai toujours le chien Span, mort il y a quelques années. Je l'avais rencontré, squelettique, effaré, dérouté, courant en tous sens, rue de Vaugirard, au coin de la rue de Tournon. Je le suivis, sans pouvoir le prendre, jusque passé l'Ecole Militaire. Je réussis enfin à le prendre et risquai d'être mordu par lui, dans sa frayeur et dans sa méfiance. J'achetai une bonne portion dans un restaurant et je remontai avec lui jusqu'à la place Saint-François-Xavier. Là, assis sur un banc, tranquilles tous les deux, je le fis manger. Je me rappelle- rai toujours la façon dont ce chien, presque féroce un quart d'heure auparavant, posa sa tête sur mes genoux et me regarda alors avec quels yeux rassurés et reconnaissants. Je n'eus qu'à me lever pour qu'il me suivît comme s'il m'eût connu de longue date. J'ai déjà parlé ailleurs de ce bon compagnon, qui ne vécut avec moi que quelques années. Je l'ai perdu en 191 3 et sa tombe est là, dans le jardin, comme celles de bien d'autres. Voilà aussi le chat Antoine. On verra là que les nouveaux venus ne m'intéressent pas moins que les anciens. Ma bonne l'a ramassé dans le pays, voilà deux mois, errant, efflanqué, craintif. Des gens avaient dû venir le perdre, ou le laisser là en partant ail- leurs. Le seul fait qu'il ait pâti me fait m'occuper de lui tout particulièrement. Il est si heureux de l'aventure qu'il ne veut plus me quitter. Tout cela pour dire qu'élever ou non un animal n'est pour rien dans son attachement. Xe voit-on pas

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