Page:NRF 19.djvu/213

Cette page n’a pas encore été corrigée

REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 211

sont associées, pour flatter et perdre Sturel, avec le charme oriental d'Astiné.

Ce que, de façon un peu artificielle, M. Barrés paraît avoir groupé sous son idée de l'Orient, ce sont d'abord les éléments féminins de sa nature (nous en avons tous en nous, et, par endos- mose, nous en puisons toujours plus ou moins chez les femmes) et c'est ensuite une sorte de principe inférieur et charmant, à la séduction duquel il s'efforce d'échapper. Les visages de la terre lui sont autant de jardins emblématiques qui servent de décor à quelque aventure moitié poétique, moitié idéologique. Un Jardin sur l'Oronte répond au Jardin de Bérénice. Mais le jar- din d'Aigues-Mortes servait de lieu à une âme, à un moi, jeune et un peu cruel, qui se construisait, qui avait devant lui la page blanche et frémissante de la vie. Bérénice, ayant joué son rôle de petite secousse, disparaissait dans un sillage de tendresse, laissant à Philippe, avec un trésor de larmes absurdes, chaudes et douces comme la pluie d'un jour d'été, le mouvement qui suit la secousse, un mouvement allègre sur les routes vivantes d'Occident, tout ce qu'a drainé l'homme arrivé à la pointe extrême d'Europe...

Un Jardin sur VOronie s'étend, par un jeu bien curieux de contraste, sur la terrasse ou la plaine opposés. Les deux jardins ce sont deux femmes, mais l'une soumise et l'autre reine. Béré- nice, depuis les familiarités de M. Prudent jusqu'au mariage avec Charles Martin, n'a connu en l'homme que le maître dont elle est la douce et l'humble servante, et le service (comme pour la Félicité d'Un Cœur Simple) fait toute sa poésie, toute sa beauté. Quand sa vie croise celle de Philippe, c'est-à-dire d'un poète capable de respirer cette fleur de sacrifice et de docilité, cette infinie et molle disponibilité d'émotion, Bérénice naît elle- même à la poésie, elle naît au svmbole, puisqu'entre son âne et ses canards elle personnifie la foule, la bonne foule électo- rale. Philippe a eu la chance de trouver et de poétiser une figure inclinée et ployante de tout ce que cueille sur la riche terre un jeune homme prédestiné à vivre. Mais voici que (équilibre habi- tuel sur ces hauts registres) il rencontre à son tour l'àme-reir.e dont il sera le jardin, comme Tàme-servante de Bérénice était le jardin de Philippe.

Mais laissons Philippe, puisqu'aussibien il n'a pas précisément

�� �