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200 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

rallumait. De nouveau on s'élançait vers lui. Et je le voyais, à terre, se débattre encore, comme le tronçon d'un ver remue sous le talon.

Je lui démontrai doucement ensuite, par un petit ser- mon, combien sa tactique était maladroite. Et il me répondait d'une voix rauque, avec une flamme dans le regard :

— Que veux-tu ! nous autres, plus on nous opprime, plus nous nous redressons.

C'était vrai. Je remarquais maintenant combien il était préoccupé de se venger. Toute occasion lui était bonne pour s'en prendre au parti adverse. Sa supériorité d'esprit ie servait. Une fois elle faillit lui coûter cher.

Notre professeur de français nous avait donné liberté d'apprendre comme leçon telle pièce de vers qu'il nous plairait. J'avais appris des stances d'André Chénier que je venais de lire grâce à Silbermann et dont l'inspiration m'avait laissé tout brûlant. Je demandai à Silbermann quel était son choix, mais il me le tint secret.

— Us vont voir... dit-il avec l'expression de quelqu'un qui prépare un bon tour.

La récitation commença. Les mauvais élèves, peu scru- puleux, s'étaient contentés de repasser quelque texte déjà connu d'eux à l'insu du professeur et riaient d'un effort qui leur avait coûté si peu. Les timides avaient été décon- certés par cette première liberté ; certains, en se levant, rougissaient de livrer leur préférence. On attendait avec curiosité Silbermann dont on savait les connaissances étendues et le goût original. Le professeur le nomma puis lui demanda ce qu'il avait appris.

— Des vers de Victor Hugo, Monsieur... Un passage extrait de Dieu.

Il se leva et, enveloppant la classe d'un regard plein d'arrogance, il se mit à réciter :

Dieu ! J'ai dit Dieu. Pourquoi ? Qui le voit ? Qui le prouve ? C'est le vivant qu'on cherche et le cercueil qu'on trouve.

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