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SILBERMANN 199

talité cette faveur de son chef. J'apercevais Robin parmi les assaillants. Il ne frappait pas bien rudement et, avec sa chevelure blonde en désordre, il semblait un page à ses premières armes. Souvent, nos regards se rencontraient, mais le sien se détournait aussitôt comme pour esquiver la supplication du mien. Et c'était pour moi chose affreuse de voir la grâce de ce visage naguère aimé durcir dans une exoression insensible.

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Quelquefois Haase ou Crémieux se trouvaient par hasard auprès de la bagarre. Ils se gardaient d'intervenir, et même il n'était pas rare que Haase eût un mot de flat- terie pour les agresseurs. Cependant on surprenait dans leurs veux une lueur de sympathie secrète ou de vague inquiétude — on ne savait bien — qui faisait songer aux obscurs sentiments qui agitent les chiens lorsqu'ils voient battre un de leurs semblables.

Silbermann se relevait, les vêtements souillés de pous- sière et déchirés. Je m'empressais vers lui et rassemblais ses cahiers et ses livres épars. Tandis qu'il était maintenu, on avait collé sur sa figure ces étiquettes que la propagande antisémite apposait à profusion sur les murs. Son front et ses joues étaient tatoués de petites rectangles multicolores où on lisait : A bas les Juifs ! Je l'aidais à les enlever et essuyais son visage. Ses yeux étincelaient. Sa bouche écu- mait. D'un coup de main j'arrangeais ses cheveux qu'on avait tiraillés. Autour de nous on ricanait. Je n'y faisais pas attention. J'avais conscience d'accomplir ma mission et cette gloire m'élevait bien au-dessus des sentences humaines.

Mais, à ce moment, Silbermann, qui n'était jamais abattu, ne pouvait se retenir de riposter. Encore tout frémissant de la défaite, il repartait à disputer, narguant par des gestes moqueurs ceux qui nous entouraient. C'était du courage si l'on veut ; c'était surtout l'espoir de vaincre, soufflé par un âpre orgueil ; c'était l'ambition, plus tenace qu'aucun sentiment, de prouver sa supériorité. Alors la bataille se

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