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I78 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Je ne l'étais point. Il insista.

— Viens goûter jeudi prochain.

Il y eut dans cet empressement quelque chose qui me déplut et me mit sur la défensive. Je répondis que nous conviendrions du jour plus tard ; et comme nous étions arrivés devant la maison de mes parents, je lui tendis la main.

Silbermann la prit, la retint, et me regardant avec une expression de gratitude, me dit d'une voix infiniment douce :

— Je suis content, bien content, que nous nous soyons rencontrés... Je ne pensais pas que nous pourrions être camarades.

— Et pourquoi ? demandai-je avec une sincère sur- prise.

— Au lycée, je te voyais tout le temps avec Robin ; et comme lui, durant un mois, cet été, a refusé de m'adres- ser la parole, je croyais que toi aussi... Même en classe d'anglais où nous sommes voisins, jen'ai pas osé...

Il ne montrait plus guère d'assurance en disant ces mots. Sa voix était basse et entrecoupée ; elle semblait monter de régions secrètes et douloureuses. Sa main qui conti- nuait d'étreindre la mienne comme s'il eût voulu s'atta- cher à moi, trembla un peu.

Ce ton et ce frémissement me bouleversèrent. J'entrevis chez cet être si différent des autres, une détresse intime, persistante, inguérissable, analogue à celle d'un orphelin ou d'un infirme. Je balbutiai avec un sourire, affectant de n'avoir pas compris :

— Mais c'est absurde... pour quelle raison supposais- tu...

— Pan_e que je suis Juif, interrompit-il nettement et avec un accent si particulier que je ne pus distinguer si l'aveu lui coûtait ou s'il en était fier.

Confus de ma maladresse, et voulant la réparer, je cher- chai éperdûment les mots les plus tendres. Mais dans ma

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