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SILBERMANN 175

comme je lui répondis par un bonjour très cordial, changea brusquement de physionomie, accourut et exprima sa joie de la rencontre.

— Tu habites donc par ici ? Et où cela ?

Il voulut connaître le nom de la rue, le numéro de la maison, me questionna sur mes habitudes, sur mafamillej et enveloppa cette enquête de manières si naturelles et si amicales que j'eus plaisir à répondre, malgré ma retenue ordinaire.

— De quel côté allais-tu ? ajouta-t-il. Veux-tu que je t'accompagne ?

J'acceptai, Il me montra son livre.

— C'est une édition ancienne de Ronsard. Je viens de l'acheter, dit-il en caressant la jolie reliure de ses doigts qui étaient maigres et bruns.

Il l'ouvrit et se mit a me lire quelques vers. J'eus la même impression qu'en classe. Le texte lu par lui semblait baigner dans une source qui m'en donnait fortement le goût. Les mots avaient une qualité nouvelle : ils flattaient mes sens ; émotion ignorée, sorte de frisson dans mon cer- veau. Mais de Silbermann lui-même que dire et comment dépeindre sa figure ? Il lut ces vers :

Fauche, garçon, d'une main pilleresse Le bel émail de la verte saison, Puis à plein poing enjonche la maison Des fleurs qu'avril enfante en sa jeunesse.

Ses narines se dilatèrent, comme piquées par l'odeur des foins, et des larmes de plaisir emplirent ses yeux.

Nous étions arrivés à l'angle d'une pelouse où est érigée une statue de La Fontaine. Silbermann m'arrêta et s'écria :

— Est-ce assez laid, ce buste que couronne une Muse ? Et ce groupe d'animaux, le lion, le renard, le corbeau, quelle composition banale ! Chez nous on ne connait que cette façon de glorifier un grand homme. Et pourtant il y en a d'autres. Ainsi, l'été dernier, j'ai été à Weimar et

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