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l66 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de sang, cela me parut la preuve d'une infidélité si profonde, que je détournai la tête. Le regard tombé sur le cailloutis poussiéreux de la cour, je m'avisai avec tristesse que depuis des semaines je songeais aux délices du moment où je me retrouverais avec lui... Et j'eus le pressentiment que nous allions cesser d'être amis.

Le tambour roula. Nous nous mîmes en rang.

— A Houlgate, pendant le mois d'août, poursuivit-il à voix moins haute, j'ai fait beaucoup de tennis. Mais, là-bas, c'était moins agréable parce que — il fit une moue — il y avait trop de Juifs... Sur la plage, au casino, partout, on ne rencontrait que ça. Mon oncle xMarc n'a pas voulu ) r rester trois jours. Tiens, celui-là y était. Il s'appelle Silbermann.

En disant ces mots, il m'avait désigné un garçon qui se tenait à la porte de la classe, en tête des rangs, et que je ne me rappelais pas avoir aperçu l'année précédente dans aucune division de quatrième. Il était petit et d'extérieur chétif. Sa figure, que je vis bien car il se retournait et par- lait à ses voisins, était très formée mais assez laide, avec des pommettes saillantes et un menton aigu. Le teint était pâle, tirant sur le jaune ; les yeux et les sourcils étaient noirs, les lèvres charnues et d'une couleur fraîche. Ses gestes étaient très vifs et captivaient l'attention. Lorsque, avec une mimique que l'on ne pouvait s'empêcher de suivre, il s'adressait à ses voisins, ses pupilles semblaient sauter sur l'un et puis sur l'autre. L'ensemble éveillait l'idée d'une pré- cocité étrange ; il me fit songer aux petits prodiges qui exé- cutent des tours dans les cirques. J'eus peine à détacher de lui mon regard.

Nous entrâmes en classe.

Les St-Xavier, au nombre d'une dizaine, se groupèrent, ainsi qu'ils en avaient l'habitude. Je me plaçai devant Philippe Robin. Sitôt entré, Silbermann avait couru avec un air de triomphe au pied de la chaire. Notre professeur était un homme autour de la quarantaine, aux regards pénétrants et froids, aux mouvements justes. Il procéda

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