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NOTES 109

Tantôt au contraire c'est la logique des caractères qui fait dévier la réalité, la gonfle d'éléments nouveaux, la complique, l'enchevêtre, la tord, la culbute et la transforme enfin en une fiction fabuleuse — cauchemar ou féerie — toute chargée d'humanité. C'est ici le cas pour la fin de Y Associé.

De tous les conteurs d'aventures, Conrad est le seul à ne pas > bâtir des constructions en ciment armé, quitte à en humaniser ensuite la façade, mais à lancer des bateaux un peu ivres sur la mer mouvante des âmes humaines. Il est le seul aussi à susciter une inquiétude qui ne soit tarée d'aucune névrose, une inquié- tude d'homme normal.

Sous chaque récit, il dépose un grand problème social ou individuel qui ennoblit et approfondit le sens de l'aventure. Dans la Folie Aîtmayer, c'était le conflit des races, la question du métis qu'il posait. Dans le Planteur de Mdlata, il oppose un être qui symbolise la perfection de la vie individuelle, dégagée de toutes les entraves sociales à un autre être qui symbolise la perfection de la vie sociale, il noue le drame du conformisme et du non-conformisme.

Conrad a réussi à réaliser ce qui est, je crois bien, le rêve de beaucoup de romanciers français qui n'ont pas dépassé la qua- rantaine : un roman à la fois d'aventures, psychologique et social. Son influence ne tardera plus beaucoup à se mani- fester dans notre littérature.

BENJAMIN CRÉMIEUX

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LE DUEL, par Alexandre Kouprine, traduit du russe par Henri Mongauli (Bossard).

Alexandre Kouprine est ce qu'on a coutume d'appeler un réaliste : il décrit fidèlement la vie, telle qu'elle se déroule devant ses yeux, telle qu'il la saisit, sans y introduire grand' chose de son propre fond. C'est un art sincère, probe et suffi- samment exact, si l'on s'en tient à l'apparence des choses : Kouprine n'est pas un découvreur ; il n'est pas de ceux qui nous font apparaître la réalité sous un aspect nouveau, inat- tendu ; sa vision n'est pas exceptionnellement aiguë ; rien de très personnel, de spécifique dans sa façon d'envisager et de traduire les choses. Mais c'est un bon peintre de mœurs, un

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