Page:NRF 18.djvu/768

Cette page n’a pas encore été corrigée

7^2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

LES REVUES

M. Jean Guehenno, dans un article, qu'a publié le numéro d'avril de la Grande Revue, sur les Relations intelkctuelks entre la France et l'Allemagne, traite sans complaisance et sans amé- nité l'attitude que nous avons prise à la Nouvelle Revue Française, sur cette grave question. Ses critiques ne nous empêcheront pourtant pas d'entendre ce qu'il y a de juste et de courageux dans ses remarques, en particulier dans cette page sur la propa- gande :

C'est ici qu'apparaissent clairement la sottise et l'inutilité des « œuvres de propagande ». Outre qu'une pensée, quand elle vaut quelque chose se propage d'elle-même, il est amusant de voir chargés de cette propa- gation, ceux qui précisément sont les moins faits pour persuader et convaincre, gens à tournure d'esprit diplomatique, qui dans leurs mouvements de générosité les plus spontmiés, ne s'oublient jamais, en qui le « retour à soi » est comme naturel et qui font généralement trop de cas des qualités les plus bornées de leur pays pour savoir mettre en valeur ses qualités les plus communes. Toute la puissance d'un pro- pagandiste alla-t-elle jamais plus loin qu'à flaire connaître au-delà de nos frontières la forme de nos monocles ou de nos gilets ? Pensée fran- çaise et propagande française sont peut-être des termes contradic- toires, si l'une est le résumé de ce qu'il y a de plus large en notre génie, si l'autre sert les plus mesquins de nos intérêts.

Il y eut un temps où la France se propageait d'elle-même. C'est qu'elle n'y pensait pas. Mais ses écrivains regardaient le monde avec une curiosité affectueuse. Et ils disaient quelque chose- Des choses de demain plutôt que d'hier. Et ce sont peut-être celles-là qu'il faut dire à qui veut que des peuples inquiets Fécoutent. Ils se souciaient moins de justifier des titres dès longtemps acquis que d'en acquérir de nou- veaux. Ils ne « nationalisaient » ni ne « dénationalisaient » leur pensée. Sans effort, sans seulement y prétendre, ils gagnaient la confiance de l'Europe. Comment un Montesquieu, un Voltaire, un Diderot eussent- ils provoqué la défiance ? Ils travaillaient dans cet « esprit de liberté », qui, d'après Diderot lui-même, caractérisait son temps. Ils méprisaient tous les fanatismes. Ils ne criaient point mais savaient le pouvoir d'une idée comme d'un mot, mise en sa place, et qu'il ne s'agit que de bien savoir manier les leviers et en reconnaître précisément les points d'ap- plication pour soulever des montagnes. Le visage de la France en leurs œuvres souriait. Il n'avait point cet air rébarbatif que nos contempo- rains, tristes et perdus dans la méditation d'eux-mêmes, lui ont donné. Ils ne se demandaient pas où une idée les conduisait, prêts à toutes les affirmations comme à toutes les négations. Ils ne craignaient point les aventures de la pensée. La probité intellectuelle était leur règle, qui consiste à accepter de tout voir. Ils ne s'arrêtaient point en chemin, par souci de servir le prince ou la nation. Ils faisaient confiance à

�� �