Page:NRF 18.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble lui donner juste le temps d’engager la phrase, à l’endroit qu’il faut. Mais comme une goutte tombée au point précis où les eaux se partagent et dont un grain de sable décidera l’hésitation, la phrase reste suspendue entre deux pentes. Si Clymène n’avait ce mouvement de tête qui semble un commencement de départ, si elle ne laissait pas tomber ses fleurs fanées, sans doute parlerait-il. Mais déjà c’est trop tard. Pour la première fois il la prend par le bras ; il sent sur sa manche ce coude et dans sa main ce poignet qui s’appuient. Il faudra pourtant bien qu’avant la fin de la descente clarté soit faite entre eux.

— Mon amie, commence-t-il, vous ne me verrez pas avant longtemps.

— Pourquoi ? demande-t-elle ingénument.

— Mon travail ne va plus me permettre d’absences.

Elle dit avec la soumission de la fatigue :

— Je vous ai déjà coûté beaucoup trop de temps. Mais quand ce serait dans deux ou trois mois, dites quand vous reviendrez.

— Je ne sais pas encore.

Alors elle s’alarme :

— Ne me faites pas peur!… Dites-moi bien exactement, sans rien de plus ni rien de moins… Je ne puis me méfier de tout le monde… et de vous encore !

— Vous êtes entourée de meilleurs conseils que les miens. Je ne suis que trop intervenu dans votre vie.

Elle riposte avec âpreté :

— Je ne suis entourée que d’êtres qui me détestent !

Il croit avoir mal entendu :

— Votre oncle désirerait…

— Mon oncle ni mes sœurs ne désirent mon bien, mais seulement que je fasse leur volonté.

Les barrières de sa fierté cèdent à la lassitude ; elle poursuit :

— Si je regarde vers le passé, aussitôt ils s’efforcent de le ternir… Et si je regarde ailleurs… ils ont encore peur