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5^4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jouer par M. Gémier et Louise France. Il m'a paru curieux d'envoyer l'entendre aujourd'hui un jeune écrivain ne connais- sant de la pièce et de son auteur que ce qui en a été dit et raconté, cette sorte de légende qui entoure déjà Tune et l'autre. M. Georges Pillement a bien voulu accepter cette mission. Voici ses impressions :

« Ainsi, c'est cela Ubu-Roi ? Nous ne l'avions ni lu ni vu jouer. Mais nous savions que des poètes que nous aimions, comme Apollinaire, s'apparentaient cà Jarry. Or, nous avons été déçus et il nous a paru qu'il y avait un abîme entre l'humour d'Apollinaire et la grosse niaiserie d' Ubu-Roi.

« Somme toute, et très franchement, la représentation n'est pas amusante. On attend toujours quelque chose et on reçoit en pleine figure des mots tels que : « le pays appelé Germanie ainsi nommé parce que les habitants de ce pays sont tous cou- sins germains ». Ce n'est pas très satisfaisant.

« Certaines scènes, comme la scène de la bataille, sont pleines d'un bavardage assez cocasse. C'est ce qu'on appelle la trucu- lence de Jarry et qui l'a fait comparer à Rabelais. Mais cela ne va jamais très loin. Evidemment Jarry avait un génie particu- lier pour inventer un vocabulaire, et il y a une certaine puis- sance dans ces créations de gidouille, de voiturins à phynances et de petits bâtons pointus à enfoficer dans les otieilles. Sa conver- sation devait être ahurissante. Voilà, je crois, le grand point : l'homme a dû étonner ses contemporains. Sa légende a enchanté une génération. Tout ce qu'on nous a raconté de l'existence de Jarry me semble merveilleux. Celui-là n'a pas baillé sa vie : il l'a rie, si j'ose dire. Et jusqu'à en mourir. Il y a de l'héroïsme dans le cas de Jarry, dans cette extravagance soutenue jusqu'au bout. Mais Ubu n'est pas un chef-d'œuvre. C'est une blague de collège oià l'on ne sent qu'un écho de la fantaisie vivante de Jarry. Pourtant il y aie Père Ubu. Il y a ce nom qui est une de ces trouvailles de mot dont Jarry avait le secret. C'est un nom qui s'impose et qui vivra. Ce personnage est taillé grossière- ment, d'une façon très simpliste. C'est un pantin, un polichi- nelle. Mais il existe. 11 restera, mêlé au souvenir étrange d'Alfred Jarry. »

Un paragraphe a sauté dans ma dernière chronique à propos de l'interprétation du Misanthrope au Théâtre du Vieux-Colom-

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