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CHRONIQUE DRAMATIQUE 59I

avec une pièce en un acte : La folle journée, qui était également une petite chose parfaite. Je subissais une éclipse, due à de bien sots lecteurs, dans mes fonctions de critique dramatique. J'en aurai» dit sans cela tout le bien qu'elle méritait qu'on en dise. Dardatnelle,- c'est un mari auquel sa femme, dans un moment de chicane, apprend qu'il est cocu, et qui, passé la minute pénible de la nouvelle, prend la chose avec gaieté, ironie, sarcasme, je crois pouvoir résumer tout cela en disant : avec la plus extrême et la plus sage fantaisie. Il entend désor- mais que quiconque viendra pour le voir soit introduit par la bonne le plus aimablement du monde avec ces mots : « Prenez la peine de vous asseoir. Le cocu va bientôt rentrer ». Il se peint un merveilleux écriteau, en capitales formidables, véri- table enseigne : Cocu de f^ classe, et le fait accrocher au- dessus de la porte de sa maison. Il n'est pas un détail de la vie courante qui ne lui fournisse l'occasion d'une allusion aussi amusante que sensée à son infortune de mari. Sa réputation de cocu s'affirme et se propage si bien, grâce à lui-même, que les enfants, dans la rue, devant sa porte, jouent au cocu et se dis- putent à qui sera Dardamelle, et qu'un érudit du cocuage vient le consulter dans l'espoir d'apprendre de lui/ un détail nouveau sur la question, qui n'a guère fait de progrès depuis qu'il y a des maris et qui sont trompés, attendu qu'on n'est pas cocu de nos jours autrement qu'on l'était dans la plus lontaine antiquité, toutes choses que Dardamelle se déclare d'ailleurs enchanté de connaître. Ne croyez pas, après cela, qu'il tire la moindre vanité de sa réputation bien établie de cocu. Il reste infiniment modeste, et lui fait-on compliment sur sa célébrité, il se tourne vers sa femme et fait remarquer, avec raison, combien tout le mérite lui en revient à elle seule. Si bien que c'est elle, pour l'avoir trompé, qui arrive à souffrir d'être la femme d'un cocu, tandis que lui se pavane, tranquille, souriant et glorieux. Il y a dans toute cette pièce une fantaisie extrêmement plaisante, un comi- que irrésistible et pourtant profond, et sous ce ton de farce apparent, l'humanité la plus vraie. Elle vaut d'être vue et méri- terait d'avoir un grand succès. Elle montre une fois de plus combien des théâtres comme l'Œuvre et le Vieux-Colombier sont utiles, nécessaires. Qui sait, en effet, sans eux, si M. Emile Mazaud aurait pu faire jouer ses deux premières pièces, les

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