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LE CAMARADE INFIDELE 575

ses, trouvées dans les poches des pauvres bougres qu'on identifiait, des lettres de ménagères^ ou de femmes d'af- iaires, ou de paillardes ; mais une lettre de ce ton-là, non jamais. Je voudrais te la montrer ; je l'ai chez moi. Oui, vieux, je ne me suis pas permis de lire les autres, mais celle-ci, je l'ai gardée. Ce n'est pas qu'il y soit question de rien d'extraordinaire ; au contraire, la vie de tous les jours, des nouvelles des enfants^ quelques phrases de tendresse. C'est justement ces phrases qui m'ont ému. On ne peut pas dire un langage d'amoureuse^, bien que l'amour soit évi- dent. Pas de protestations ; une égalité, une discrétion qui ne peuvent s'expliquer que par la plus belle confiance. Des mots tout à fait simples, mais de cette simplicité fière, délicate, qui suppose de la noblesse de cœur. Heuland nous parlait souvent de sa maîtresse, guère de sa femme. A la lecture de cette lettre, je me suis cru certain qu'il avait été bavard sur ce qu'il considérait comme un amusement mais que, sur le reste, il avait gardé le silence d'un honnête homme qui sait le prix de ce qu'il possède. Or je me trouve connaître l'endroit où il avait Tétourderie de cacher sa correspondance avec l'institutrice. Un jour ou l'autre, M""" Heuland peut découvrir cette liasse. En me laissant présenter dans la maison, je cours la chance d'empêcher une catastrophe. Je le dois bien à ce garçon qui pendant deux ans s'est toujours montré serviable.

Enfoncé dans son fauteuil, Thomas ne peut se retenir d'objecter :

— Tu crois qu'il te saurait beaucoup de gré des soins que tu prends pour sa femme ?

— Ah, pauvre vieux, s'écrie Vernois, que tu peux être stupide ! J'ai failli repartir sans même l'avoir vue. Il a fallu, pour me faire intervenir, le zèle cynique de toute une famille, appliquée à détruire le souvenir de mon camarade. Mais je crois avoir assez bien rétabli la situation.

— Je comprends, poursuit Thomas, qu'on s'attache à un compagnon d'armes et qu'on apporte à ces amitiés de

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