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CHRONIQUE DRAMATiaUE 479

quence ! Tout se tait devant cette juste indignation. Il n'y a que Célimène qui ose l'affronter, mettant sa confiance dans l'amour qu'elle inspire. Elle y use cependant sa dernière séduc- tion. Le charme est entamé. Ainsi Armande Béjart avait perdu Molière, pour n'avoir pas voulu renoncer à ses galanteries, Molière était prêt à tout pardonner. Tout aurait été oublié si elle avait voulu l'aimer, n'aimer que lui. File préféra ré- pondre comme Célimène : « Il ne me plaît pas, moi ! » Alors Molière se sépara d'elle, tout en continuant à l'aimer. Il écri- vit pour elle tout exprès ce grand rôle de Célimène, Sur le théâtre, l'approchant, c'était encore une façon de pouvoir lui dire : Je vous aime ! et de revoir près de lui la femme qu'il aimait. Vous allez encore dire, peut-être, que j'invente ? Je vois, moi, dans cette scène entre Molière et sa femme, le point de départ de cette grande comédie.

« Comme le Misanthrope devait être bien joué par la troupe de Molière ! Molière était Alceste. La Thorillière était Philinte. Du Croisy était Oronte. Armande Béjart était Célimène. Mademoiselle de Brie était Eliante. Mademoiselle Duparc était Arsinoé. Je ne sais comment exprimer ce que devait être Alceste joué par Molière lui-même, qui avait tant mis de lui dans ce personnage. »

Tout cela est fort beau. Mon vieil ami l'amateur de théâtre a du romanesque, de l'éloquence. Il s'enflamme à ses propres paroles et il embellit tout. Il connaît fort bien son sujet et le traite encore mieux que je ne l'ai montré. Mais comment doit- on jouer Alceste ? Avec quelle sorte de caractère doit-il nous être présenté ? S'il est vraiment plusieurs manières de le jouer, ce qui ne se soutient que par toute la déformation que nous avons apportée à ce rôle, quelle est la bonne, la vraie ? Voilà ce ce qui m'aurait intéressé à entendre. Je ne l'ai pas entendu. Mon vieil ami l'amateur de théâtre ne m'a rien dit sur cette question. La soirée s'avançait et il lui fallut partir. Je ne l'aurais d'ailleurs écouté que pour le plaisir. J'ai mes idées sur ce sujet, et eût-il pensé différemment qu'il ne m'eût pas changé.

Alceste est un personnage que j'ai toujours beaucoup aimé. Je puis même dire qu'en vieillissant je l'aime et le sens encore davantage. J'ai pour cela des raisons particulières. Quand je le vois sur la scène, j'oublie tout à fait que je suis au théâtre. Je

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