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CHRONIQ.UE DRAMATIQUE 477

bien que sa sagesse a tous les aspects de la folie aux yeux d'autnii, mais il aime, et il a raison, sa folie et il n'en veut rien rabattre.

« Voulez-vous que je vous dise ? Changez le caractère de Célimène, faites qu'elle aime Alceste et se comporte en conséquence avec lui. Faites qu'il soit heureux par elle au lieu d'être sans cesse rebuté et berné. Vous aurez aussitôt un autre homme, avec un autre esprit et un autre visage, dont toutes les actions et tous les jugements changeront. Pour- quoi ne voulez-vous pas que ce soit l'amour déçu qui lui ait fait ce caractère ? Mettcz-le amoureux d'Eliante. Vous verrez le changement.

« En tout cas, je pense ainsi, et si bien que je ne vois jamais jouer h Misanthrope sans me figurer voir Molière lui-même dans sa vie intime. Vous savez qu'il a créé le rôle. Comme il devait le jouer, avec quelle tristesse, quelle brusquerie ! Céli- mène, c'est sa femme, c'est Armande Béjart, qui ne l'a jamais compris ni senti combien il souffrait par elle. Arsinoé, c'est Mademoiselle Duparc, qui l'abandonna pour Racine. Eliante, c'est Mademoiselle de Brie, son amie discrète, intelligente et dévouée. Acaste et Clitandre sont le duc de Guiche et Lauzun, qui faisaient les galants auprès de sa femme. Quant à Philinte, c'était Chapelle, un des meilleurs amis de Molière et son contraste en tout. Oui, tout ce Misanthrope c'est la vie même de Molière.

« Avec cette pièce, Molière abandonnait définitivement ses premiers modèles. 11 créait selon son génie. Il ne peignait plus que d'après des personnages vivants. Quelle ingéniosité, et quelle vérité ! Comme chacun de ces personnages s'exprime bien comme il doit ! Comme le ton de la comédie est par- fait du commencement à la fin ! Je ne comprends pas Voltaire qui prétendait y retrouver le ton et la forme de la satire.

« Il est vrai, pourtant?... Mais non ! C'est bien encore de la comédie. Je pense au portrait du Comte de Guiche, l'amant de Mademoiselle Molière, avec sa perruque blonde, ses amas de rubans, sa vaste ringrave, son ton de fausset. Ce devait être charmant d'entendre Molière parler ainsi à sa femme de son galant, dont tout le monde savait le nom. Lauzun

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