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comme on prendrait ailleurs celle de l’alcool ou des disputes. Le médecin qui entre dans la maison, au début du roman, l’a vu installé, ce silence, au lit de mort de Madame Lormier, entre la morte et les deux vivants, comme un maître dur et terrible auquel la victoire restera et qui finira par étrangler Geneviève dans sa cellule de carmélite aussi bien que Lormier dans sa chambre de Versailles. Dès que la morte a fermé les yeux, il s’empare avec plus d’autorité des deux vivants. « Pour se torturer ces deux êtres déjà avaient commencé de se taire. » Et ce silence n’est pas un simple vide, c’est un poids, c’est une force, comme les silences d’Eschyle, et une force qui tue. Lorsque Lormier pousse son : Pourquoi ? pourquoi ? désespéré, il est étrange que personne ne lui dise la vérité, à savoir qu’il souffre non d’autrui, mais de lui-même. Il meurt du silence de sa fille, mais ce silence elle le tient de lui avec sa vie même, elle a respiré chez lui ce poison : cet inventeur absorbé dans ses recherches a dû faire du silence, au sens où les médecins disent qu’on fait de l’albumine ou de la tuberculose. Sa fortune même est consubstantielle à ce silence. Elle a été constituée par sa femme sans qu’il le sût, et c’est seulement quand sa femme est morte qu’il se connaît riche. Mais son premier mouvement est pour maintenir le silence autour de cette fortune. 11 craint, dit-il, qu’on ne recherche sa fille pour son argent. C’est une de ces raisons dont on se dupe soi-même. En réalité il est tenu par la passion installée dans sa maison, la passion du silence, comme Grandet l’est par l’avarice ou Hulot par la luxure : passion du silence, c’est-à-dire passion de la vie secrète, qui porte comme toute passion sa puissance de vie et sa puissance de mort. Dans ce roman on en meurt. Ainsi Geneviève Lormier mourra de ce silence d’un quart d’heure, de cette voilette abaissée, entre la gare et la ville de Semur; elle en mourra en se demandant : « Pourquoi me suis-je tue ? »

Mêmes nappes de silence empoisonné dans la famille Manchon, La maladie a été inoculée ici par un homme, qui ne paraît qu’en une page, le père qui, convaincu par une calomnie que son jeune fils n’était pas de lui, a mieux aimé garder ce secret en se tuant que l’éclaircir au moyen d’une explication. Lui aussi a été serré à la gorge et étranglé par le silence. Il aurait pu, pour le repos des siens, emporter avec lui son affreuse maladie, mais il a fallu