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4^2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pose SOUS un biais qui lui donne des lignes intelligentes et qui nous permettrait peut-être de la deviner.

��Ce n'est pas seulement le dernier roman de M. Edouard Estaunié, l'Appel de la Route, qu'on pourrait appeler le roman de la douleur, ce sont à peu près tous ses romans, qui vivent dans cet élément de la souffrance humaine, et qui en tirent leur nourriture et leur style. Si je disais qu'il ne nous montre jamais que des êtres qui souffrent, la caractéristique serait bien banale. Un personnage romanesque ou tragique n'entre en effet dans l'art qu'en raison de la souffVance qu'il subit, de la souffrance qu'il inflige, ou de la souffrance qu'il guérit. Sous ces trois for- mes c'est toujours autour du même centre que gravitent les mondes du roman et du théâtre. Mais la plupart du temps ou du moins très souvent, cette souffrance qui vaut à un personnage de devenir le sujet d'une histoire intéressante ou typique est une souffrance qui lui vient par une catastrophe, par un coup de hasard, par une disposition singulière, ou bien qui est donnée comme la conséquence d'une passion, d'une erreur, d'une ambi- tion ; elle a été apportée par des causes qui auraient pu ne pas être. Elle se détache exceptionnellement sur certain fond de plaisirs vulgaires et de satisfactions normales incorporées au train des affaires humaines.

Pour M. Estaunié au contraire elle est ce train même, cette réalité des affaires humaines, la douleur se confond avec la vie, et l'énigme de la vie avec l'énigme de la douleur. Il y a évi- demment des êtres qui nous paraissent heureux, qui le sont peut- être, mais cela, pour M. Estaunié, signifierait presque qu'ils ne vivent pas, ou qu'ils vivent dans un monde à deux dimensions, dans un^Tionde sans profondeur. Et cette douleur qui se con- fond avec la vie, qui se confond avec le roman, semble se con- fondre aussi avec le style même de M. Estaunié. On pourrait dire qu'il existe en français un stvle de certitude, un style de découverte, un style d'inquiétude (et beaucoup d'autres, mais la couoe dont j'ai besoin pour le moment ne comporte que ces trois). Le style de certitude est un style oratoire au mouvement uniforme et progressif : Bossuet qui expose ce qu'il croit voir clairement, ce qu'il croit être indubitablement, en réalise le

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